Sépulcre
de la rue, sur laquelle un écriteau coloré peint à la main indiquait : SORTILÈGE, DIVINATION, TAROTS. Et en dessous, écrit en plus petit, English spoken.
Soudain, elle mit la main à la poche de son blouson. Le prospectus que la fille lui avait donné la veille s’y trouvait toujours. Elle le prit et contempla l’image. Malgré ses contours flous et la mauvaise qualité de la reproduction, on ne pouvait nier une certaine ressemblance.
On jurerait que c’est moi.
Meredith regarda à nouveau le panneau. Voilà que la porte était ouverte, à présent. Comme si quelqu’un en était sorti à son insu pour défaire le loquet. Elle fit un pas en avant et scruta à l’intérieur. Il y avait un petit couloir avec des murs violets décorés d’étoiles, de lunes et de symboles astrologiques argentés. Pendus au plafond, des mobiles en cristal ou en verre, elle n’aurait su dire, tournoyaient en spiralant, attrapant la lumière.
Meredith s’arrêta net. L’astrologie, les cristaux, la bonne aventure, très peu pour moi ! se dit-elle. Elle ne prenait même pas la peine de lire son horoscope dans le journal, alors que pour Mary, c’était un rituel obligé, qu’elle accomplissait religieusement tous les matins, en buvant son café.
Non, Meredith ne comprenait pas qu’on puisse considérer que l’avenir était d’une certaine façon déjà écrit. C’était absurde, et bien trop fataliste à son goût. Une manière de ne pas assumer pleinement sa propre vie, de s’en remettre à une instance supérieure, et non à soi-même, pour mener sa barque.
Elle recula avec humeur. Pourquoi restait-elle plantée là ? Elle aurait dû déjà s’en aller, oublier ce stupide prospectus.
C’est de la superstition !
Pourtant, quelque chose l’en empêchait. Oui, elle était intriguée, mais c’était par pure curiosité intellectuelle. Rien d’émotif là-dedans. La coïncidence de l’image, le hasard de l’adresse… Tout cela lui donnait envie d’entrer.
Elle se rapprocha. Une volée de marches peintes alternativement en rouge et vert partait du couloir. En haut de l’étroit escalier, elle repéra une deuxième porte, bleu ciel, qui se devinait à peine sous un rideau de perles en bois jaunes.
Toutes ces couleurs ! pensa-t-elle.
Elle avait lu quelque part que certaines personnes voyaient la musique en couleurs dans leur tête. De la synesthésie ? Oui, c’était bien ainsi qu’on appelait cette faculté de perception.
Il faisait frais à l’intérieur, grâce à un vieux ventilateur qui ronflait, placé au-dessus de la porte. Des grains de poussière dansaient dans l’air. Puisqu’elle avait envie d’une atmosphère fin de siècle, quoi de mieux que de vivre le genre d’expérience qui s’offrait ici même, un siècle plus tôt ?
Une recherche comme une autre, tout compte fait.
Il y eut un moment d’indécision, où même l’immeuble sembla retenir son souffle. En attente, aux aguets. Tenant le prospectus à la main comme une sorte de talisman, Meredith entra dans le couloir. Puis elle posa le pied sur la première marche et monta l’escalier.
Des centaines de kilomètres plus au sud, dans les bois de hêtres au-dessus de Rennes-les-Bains, une soudaine rafale de vent agita les branches des vieux arbres dans une envolée de feuilles pourpres. Issu d’un lointain passé, un long soupir passa, telle une main effleurant les touches d’un piano.
Un jeu de lumière, un remuement d’air, au tournant d’un autre escalier.
13.
Domaine de la Cade
— Oui, monsieur l’abbé, et merci à vous pour votre gentillesse. À tout à l’heure.
Julian Lawrence garda un instant le téléphone à la main, puis raccrocha. Svelte, bronzé, il ne paraissait pas ses cinquante ans. Tirant un paquet de cigarettes de sa poche, il en alluma une à la flamme de son Zippo. La fumée aux arômes boisés s’éleva en sinuant.
Les dispositions avaient été prises pour le service funèbre du soir. Pourvu que son neveu Hal ne fasse pas de bévue, la cérémonie se déroulerait sans accroc. Bien sûr il avait de la compassion pour lui, mais c’était fort gênant que Hal se soit mis à poser des questions à tout bout de champ sur l’accident de son père. Il s’était même rendu au bureau du médecin légiste pour mettre en doute la cause du décès figurant sur le certificat. L’inspecteur chargé de l’enquête au commissariat de police de Couiza étant l’ami d’un ami de Julian, et
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