Sépulcre
cessaient de papillonner à la ronde. Quand elle leva la main pour allumer une cigarette, les manches de son chemisier glissèrent et Meredith remarqua de larges cicatrices rouges sur ses deux poignets.
Comme si elle avait senti son regard, la femme tourna la tête vers elle.
— Quelqu’un de très estimé ? répéta Meredith, prise au dépourvu.
— Someone popular. Well-respected, répondit la femme.
— Merci, répliqua Meredith en lui adressant un sourire embarrassé.
La femme resta à la fixer un instant, puis détourna la tête. La cloche commença à sonner le glas avec insistance, sur un timbre grêle, aigu. La foule recula quand quatre hommes sortirent du presbytère en portant un cercueil fermé. Derrière eux suivait un jeune homme tout de noir vêtu, qui ne devait pas avoir trente ans, avec une épaisse tignasse brune. Livide, il serrait les mâchoires, comme pour mieux réprimer ses émotions.
Un homme plus mûr l’accompagnait, lui aussi vêtu de noir, que Meredith reconnut aussitôt, éberluée. C’était le conducteur de la Peugeot bleue, et il semblait parfaitement maître de lui.
Soudain elle se sentit coupable de la réaction qu’elle avait eue un peu plus tôt.
Il avait de bonnes raisons de se montrer expéditif, se dit-elle.
Meredith regarda le cercueil faire le court voyage du presbytère jusqu’à l’église. Les touristes assis au café d’en face se levèrent en voyant défiler le cortège funèbre. Les étudiants s’interrompirent et restèrent debout en silence, mains croisées, tandis que la lente cohorte disparaissait en bas du passage.
La porte de l’église se referma bruyamment. La cloche s’arrêta de sonner, et un doux écho subsista dans l’air du soir. Sur la place, tout revint vite à la normale. Les gens se rassirent, et l’on entendit de nouveau des bruits de chaises, de verres, de conversations reformer le même fond sonore qui habitait les lieux quelques minutes plus tôt.
Meredith vit une voiture remonter la grand-rue vers le sud. Puis d’autres encore. Ainsi, la rue était rouverte, se dit-elle avec soulagement, pressée d’arriver à son hôtel.
Sortant de son retrait, elle eut enfin une vue d’ensemble de la place et soudain, cela lui apparut. La photographie du jeune soldat, son ancêtre, avait été prise ici, en ce cadre précis, entouré des immeubles qui donnaient sur le Vieux Pont, bordé d’un côté par une rangée de platanes et de l’autre par le flanc boisé de la colline, qu’on apercevait dans la trouée entre les maisons.
Meredith fouilla dans son sac, sortit l’enveloppe, en tira la photo.
C’était exactement ça.
Du côté est de la place, les enseignes des cafés avaient changé et il y avait maintenant des chambres d’hôtes, mais sinon, c’était le même décor. Ici même, en 1914, un jeune homme avait posé et souri à l’objectif avant de retourner au front. Son arrière-grand-père, elle en était certaine.
Avec un regain d’enthousiasme pour la tâche qu’elle s’était fixée, Meredith retourna à sa voiture. Elle était ici depuis moins d’une heure et, déjà, elle avait découvert quelque chose. Un fait avéré, net et précis.
30.
Meredith démarra et, en passant la place des Deux-Rennes, elle jeta un coup d’œil vers l’endroit où la photo avait été prise, comme si la silhouette de son lointain ancêtre était postée là, entre les arbres, et lui souriait.
Peu de temps après, elle avait quitté les abords de la ville et roulait dans la nuit noire. Au bord de la route, les arbres prenaient des formes étranges, mouvantes. De loin en loin, des bâtisses surgissaient de la pénombre, maisons ou granges. Elle verrouilla sa portière d’un petit coup de coude et le mécanisme s’enclencha avec un clic rassurant.
À vitesse réduite, elle suivit les directions indiquées par le plan qui figurait sur la brochure et alluma la radio pour se tenir compagnie. Il régnait sur la campagne un silence absolu. La route était entourée d’une épaisse forêt, avec au-dessus d’elle une portion de ciel éclairée par de rares étoiles. Il n’y avait aucun signe de vie et elle n’aperçut aucun animal, pas même un chat ou un renard.
Meredith trouva la direction de Souraigne indiquée sur la brochure et tourna à gauche. Elle se frotta les yeux pour ne pas se laisser gagner par une douce somnolence. À vrai dire, elle n’était pas en état de conduire. Au bord de son champ de vision, les
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