Sépulcre
mémorial dédié à ces vies sacrifiées avait été jugé insuffisant.
Des générations d’hommes, pères, frères, fils, tant de vies fauchées.
Meredith marcha à pas lents dans la pénombre grandissante, sur le sentier de gravier qui longeait l’église. Des tombes, des dalles, des anges de pierre, des croix surgissaient de l’obscurité à mesure qu’elle avançait. Elle s’arrêtait çà et là pour lire une inscription. Certains noms se répétaient, génération après génération, gravés dans le granit et dans le marbre. Des familles d’ici : Fromilhague, Saunière, Denarnaud, Gabignaud.
À l’autre extrémité du cimetière, surplombant la gorge de la rivière, Meredith se retrouva devant un mausolée au style ornementé où les noms FAMILLE LASCOMBE-BOUSQUET étaient gravés au-dessus de la grille en métal.
Elle s’accroupit et, dans les derniers vestiges du jour, lut les dates des mariages et des naissances qui avaient uni les deux familles dans la vie et dans la mort. Guy Lascombe et sa femme avaient été tués en octobre 1864. Le dernier de la lignée Lascombe était Jules, mort en janvier 1891. La dernière survivante de la branche Bousquet, une certaine Madeleine, morte en 1955.
Meredith se redressa, sentant dans sa nuque un picotement familier. Ce n’était pas seulement le jeu de tarot que Laura avait voulu à toute force lui donner, ni la coïncidence de retrouver ici le nom de Bousquet, mais autre chose. Quelque chose concernant la date, qu’elle avait vu sans y prêter attention sur le moment.
Alors cela lui apparut. L’année 1891 revenait sans cesse, plus qu’elle n’aurait dû. Et si elle l’avait remarqué, c’était parce que cette date avait pour elle une signification particulière. 1891. L’année qui figurait sur la partition de musique. Elle revoyait le titre et le chiffre dans son esprit, aussi nettement que si elle avait eu la feuille à la main.
Mais ce n’était pas tout. Meredith repassa dans son esprit tout ce qu’elle avait pu voir depuis l’instant où elle était entrée dans le cimetière, et elle trouva enfin. Ce n’était pas tant l’année en elle-même que le fait que cette même date se répétait encore et encore.
Avec une montée d’adrénaline, Meredith se hâta de revenir sur ses pas et elle refit le tour des tombes pour vérifier les inscriptions. Non, sa mémoire ne lui avait pas joué de tours. Elle sortit son carnet et se mit à écrire, notant la même date de décès pour différentes personnes, trois, quatre fois de suite.
Ils sont tous morts le 31 octobre 1891.
Derrière elle, la petite cloche de l’église se mit à sonner.
Meredith se retourna pour regarder les lumières qui brillaient à l’intérieur, puis elle leva les yeux et s’aperçut que le ciel était maintenant piqueté d’étoiles. Prêtant l’oreille, elle entendit des voix qui murmuraient, alors la porte de l’église s’ouvrit et les voix lui parvinrent plus fortes, en un brouhaha confus, avant que la porte ne se referme en claquant.
Elle regagna le porche. Les tables à tréteaux incongrues avaient trouvé leur utilité. L’une était couverte de gerbes de fleurs et de plantes en pots sous cellophane. La deuxième était nappée d’un tissu épais en feutre rouge où un grand recueil de condoléances était posé.
Meredith ne put s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. Sous la date du jour figurait un nom accompagné des dates de naissance et de décès : Seymour Frederick Lawrence : 15 septembre 1938-24 septembre 2007.
Elle comprit que des funérailles allaient avoir lieu, malgré l’heure tardive. Par crainte d’être surprise, elle regagna d’un pas rapide la place des Deux-Rennes, qui grouillait de monde à présent. Des gens de tous âges, y compris des enfants, tranquilles, mais pas silencieux pour autant, et tous bien mis. Dans leurs habits du dimanche, aurait dit Mary.
Postée en retrait sous l’auvent de la pizzeria par souci de discrétion, Meredith les regarda entrer dans le presbytère attenant à l’église, y demeurer quelques instants, puis en sortir pour aller sous le porche signer le livre de condoléances. On aurait dit que toute la ville s’était donné rendez-vous.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle à la serveuse.
— Un enterrement, madame. Quelqu’un de très estimé.
Une femme mince aux cheveux courts et bruns était debout, adossée au mur, et son immobilité contrastait avec ses yeux qui ne
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