Sépulcre
s’en voulait d’être aussi impressionnable. Recourant à des techniques éprouvées, acquises il y a longtemps, elle évoqua de bons souvenirs pour chasser les mauvais. Au lieu de l’écho douloureux des pleurs de Jeanette, elle entendit la voix de Mary dans sa tête. Revit les petits épisodes d’une vie de famille normale. Toutes ces fois où elle était rentrée à la maison couverte de boue et d’égratignures, son pantalon troué aux genoux. Mary serait inquiète si elle la savait toute seule à rôder dans des coins perdus comme celui-ci.
Il faut toujours que tu fourres ton nez où il ne faut pas, pensa-t-elle.
Soudain elle eut le mal du pays. Pour la première fois depuis qu’elle s’était envolée pour l’Europe deux semaines plus tôt, Meredith eut envie d’être pelotonnée bien au chaud dans son fauteuil préféré avec un bon livre, enveloppée dans la vieille courtepointe que Mary lui avait confectionnée quand elle était entrée au collège comme interne, sachant qu’elle ne reviendrait pas à la maison avant six mois. Oui, se retrouver chez elle, au lieu d’être partie au loin dans cette course en solitaire dont elle reviendrait peut-être bredouille.
Transie et lassée, Meredith vérifia l’heure sur son téléphone portable, qui par ailleurs ne recevait pas de signal. Il ne s’était passé que quinze minutes depuis qu’elle avait laissé sa voiture. Découragée, elle se dit que la route serait probablement encore fermée.
Plutôt que de retourner par l’allée des Bains de la Reine, elle resta sur le sentier qui longeait l’arrière des maisons, au niveau de la rivière. De là elle voyait la structure en béton qui soutenait la piscine, placée en surplomb. Vu sous cet angle, le dessin des bâtiments d’origine lui apparut plus nettement. Dans l’ombre elle vit briller les yeux d’un chat qui se faufilait entre les étançons. Des détritus poussés par le vent s’amassaient contre les briques et les grillages, bouteilles de soda, canettes de bière, sacs plastique, journaux déchirés.
La rivière s’incurvait vers la droite. Sur l’autre rive, Meredith vit qu’un passage voûté pratiqué dans le mur descendait de la rue jusqu’au chemin du bord de l’eau. Les réverbères s’étaient allumés et elle discerna une vieille femme en bonnet et costume de bain à fleurs qui faisait la planche sur l’eau, à l’intérieur d’un cercle de pierres. Sa serviette-éponge pliée était posée sur l’allée juste à côté. Cette vision fit frissonner Meredith, puis elle remarqua que de la surface de l’eau montait de la vapeur. Près de la femme, un vieillard au corps mince et ridé se séchait.
Meredith admira leur courage. Elle-même n’aurait pas choisi de passer ainsi cette fraîche soirée d’octobre. Elle essaya de s’imaginer les jours glorieux de la fin du siècle, quand Rennes-les-Bains était une villégiature à la mode, qui prospérait. Les cabines sur roulettes, les dames et les messieurs en costumes de bain à l’ancienne immergés dans les sources d’eaux chaudes, sous l’œil attentif de leurs domestiques et infirmières, postés sur cette même rive.
Mais rien ne lui vint. C’était comme au théâtre après le tomber du rideau, quand les machinistes ont éteint les lumières. Dans le triste état où elle se trouvait, Rennes-les-Bains ne favorisait guère l’inspiration.
Un étroit escalier sans rampe montait à une passerelle en métal bleu qui reliait la rive gauche à la droite. Meredith se rappela le panneau qu’elle avait vu plus tôt, indiquant LE PONT DE FER. C’était là qu’elle avait laissé sa voiture de location.
Prenant l’escalier, elle retourna vers la civilisation.
29.
Comme Meredith le craignait, la rue était toujours barrée. Sa voiture de location était juste là où elle l’avait laissée, derrière la Peugeot bleue. Deux autres voitures s’étaient garées depuis derrière elle.
Passant le jardin Paul-Courrent, elle suivit la grand-rue vers les feux, puis tourna à droite pour s’engager dans une rue très raide qui semblait mener droit dans la colline. Elle déboucha sur un parking étonnamment plein, comparé au peu de monde qui circulait dans les rues. Le panneau de l’Office de tourisme proposait des promenades à pied jusqu’aux principaux sites des alentours : L’Homme Mort, La Cabanasse, La Source de la Madeleine, ainsi qu’un chemin de randonnée menant au village voisin de
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