Sépulcre
échangés par deux de ces vautours. Deux rédactions au moins ont reçu une communication vers 19 heures dimanche, leur conseillant fortement d’expédier un journaliste rue de Berlin.
— À l’adresse exacte, numéro d’immeuble compris ?
— J’ai le regret de vous dire qu’ils se sont refusés à divulguer cette information, mais je le suppose.
Le préfet Laboughe serra ses mains veinées de bleu sur le pommeau en ivoire de sa canne.
— Et le général Du Pont ? Nie-t-il que Marguerite Vernier et lui étaient amants ?
— Non, mais il a insisté pour que nous restions le plus discrets possible à ce sujet.
— Vous l’avez rassuré ?
— Oui, monsieur. Le général se défend avec véhémence de l’avoir tuée. Et il a avancé la même explication aux journalistes. Il prétend qu’un mot lui a été remis alors qu’il sortait d’un concert en matinée, remettant à plus tard leur rendez-vous fixé à 17 heures. Ils devaient partir ensemble ce matin pour passer quelques jours dans la vallée de la Marne. Les domestiques avaient tous été congédiés. Et l’appartement avait visiblement été préparé en vue d’une absence prolongée.
— Et Du Pont a-t-il toujours ce mot en sa possession ?
Thouron poussa un soupir éloquent.
— Par respect pour la réputation de cette dame, du moins c’est ce qu’il prétend, il l’aurait déchiré et jeté dehors, devant la salle de concert. J’ai dépêché un homme sur place pour vérifier, mais des balayeurs trop zélés avaient déjà nettoyé l’endroit, conclut Thouron, dépité, et appuyant ses coudes sur la table, il se passa les doigts dans les cheveux.
— Y a-t-il des signes montrant qu’il y a eu des rapports sexuels avant la mort ?
Thouron acquiesça en hochant la tête.
— Et qu’en dit le général ?
— Il a accusé le coup, mais il est resté digne. Il affirme que ce n’est pas lui et s’en tient à sa version des faits. Quand il est arrivé rue de Berlin, une foule de journalistes était déjà massée autour de l’immeuble. Et ce n’est qu’une fois dans l’appartement qu’il a découvert le corps sans vie de sa maîtresse.
— A-t-on des témoins certifiant son arrivée ?
— Oui, il a bien été vu à 20 h 30. Le problème est de savoir si oui ou non il est venu plus tôt dans l’après-midi. Nous n’avons que sa parole.
— Le général Du Pont…, se désola Laboughe en secouant la tête. C’est un personnage haut placé, avec beaucoup de relations… Cette affaire est fâcheuse. Extrêmement fâcheuse. Comment est-il entré ? ajouta-t-il en revenant à Thouron.
— Il possède une clef de la porte d’entrée.
— Quels sont les autres occupants de l’appartement ?
Thouron fourragea dans les piles de papiers qui encombraient son bureau et menaçaient de s’écrouler. Manquant renverser un encrier, il trouva le dossier qu’il cherchait, et en tira une unique feuille.
— À part les domestiques, il y a un fils, Anatole Vernier, célibataire, vingt-six ans, ancien journaliste et aujourd’hui homme de lettres. Il fait partie du comité de rédaction d’une revue spécialisée en livres rares. Ainsi qu’une fille, ajouta-t-il après avoir jeté un coup d’œil à ses notes. Dix-sept ans, célibataire elle aussi.
— Ont-ils été informés de la mort de leur mère ?
— Non, malheureusement, soupira Thouron. Nous n’avons pas pu les localiser.
— Pourquoi ça ?
— Ils sont partis à la campagne vendredi matin, semble-t-il. Mes hommes ont interrogé les voisins, sans obtenir d’autres précisions.
Le préfet fronça ses épais sourcils blancs.
— Vernier ? Ce nom me dit quelque chose…
— Cela s’explique, monsieur. Le père, Léo Vernier, était un communard. Il a été arrêté, inculpé et condamné à la déportation. Il est mort durant la traversée.
Laboughe secoua la tête.
— Non, ça ne remonte pas aussi loin.
— Au cours de cette année, le nom de Vernier fils est apparu plus d’une fois dans les journaux. Des allégations infondées, l’accusant de fréquenter de mauvais lieux, cercles de jeu, fumeries d’opium, maisons de tolérance, tout cela sans preuve. Des insinuations mettant en doute sa moralité, sans consistance.
— Une campagne de diffamation ?
— Ça m’en a tout l’air, monsieur.
— Anonyme, je présume ?
Thouron acquiesça.
— La Croix en particulier semble avoir Vernier dans sa ligne de mire,
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