Sépulcre
continua-t-il. Par exemple, un de leurs articles parle d’un duel au Champ-de-Mars où il aurait été impliqué. Comme témoin, mais tout de même… Le journal a divulgué l’heure, le lieu, les noms. Vernier a été en mesure de prouver qu’il se trouvait ailleurs. Il a prétendu ne pas savoir qui se cachait derrière ces calomnies.
Laboughe perçut un doute dans la voix de son subalterne.
— Et vous ne le croyez pas ?
— Toutes les attaques anonymes le sont rarement pour leurs victimes, remarqua l’inspecteur d’un air sceptique. Ensuite, le 12 février, il a été mêlé à un scandale concernant le vol d’un manuscrit précieux à la bibliothèque de l’Arsenal.
— C’est ça ! s’exclama Laboughe en se tapant le genou. Voilà pourquoi son nom m’est familier.
— De par ses activités, Vernier était un visiteur régulier et estimé de l’Arsenal. En février, après un tuyau donné anonymement, on a découvert qu’un texte d’occultisme extrêmement précieux avait disparu… L’ouvrage d’un certain Robert Fludd, précisa Thouron en jetant un coup d’œil à ses notes.
— Jamais entendu parler.
— On n’a trouvé aucun élément susceptible d’incriminer Vernier, et l’affaire ayant révélé les graves insuffisances du système de sécurité de la bibliothèque, on a préféré l’enterrer.
— Vernier est-il l’un de ces ésotéristes ?
— Non, semble-t-il. Sauf quand cela touche à son activité de collectionneur.
— L’a-t-on interrogé ?
— Oui, et encore cette fois-là, il a prouvé sans mal qu’il ne pouvait être soupçonné. Comme on lui demandait à nouveau s’il se connaissait des ennemis susceptibles de répandre ces calomnies dans le but de lui nuire, il a affirmé que non. Nous avons dû classer l’affaire.
Laboughe resta silencieux un moment, le temps de digérer toutes ces informations.
— Et quelles sont les sources de revenus de ce Vernier ?
— Irrégulières, mais conséquentes, répondit Thouron en consultant ses notes. Il gagne dans les douze mille francs par an, et ce par divers moyens. Son poste au comité de rédaction de la revue lui rapporte six mille francs. Ses bureaux sont rue Montorgueil. S’y ajoutent les articles qu’il écrit pour d’autres revues et journaux spécialisés, plus quelques gains récoltés aux tables de jeu.
— Aucun legs ni héritage en vue ?
— Non. Son père ayant été condamné comme communard, ses biens ont été confisqués. Or Vernier père était enfant unique, et ses parents décédés depuis longtemps.
— Et Marguerite Vernier ?
— L’enquête est en cours. Ses voisins ne lui connaissent pas de famille proche, mais cela reste à vérifier.
— Du Pont contribue-t-il aux dépenses de la maison de la rue de Berlin ?
Thouron haussa les épaules.
— Il prétend que non, mais je doute de sa sincérité sur ce point. Et j’ignore si Vernier est ou non au courant de ces arrangements.
Laboughe remua sur sa chaise, qui grinça et gémit. Thouron attendit patiemment tandis que son supérieur réfléchissait.
— Vous dites que Vernier est célibataire. A-t-il une maîtresse ?
— Il a eu une liaison avec une femme, qui est morte en mars et a été enterrée au cimetière de Montmartre. Des rapports médicaux laissent à penser qu’elle a subi une intervention deux semaines plus tôt dans une clinique, la Maison Dubois.
Laboughe eut une moue de dégoût.
— Un avortement ?
— C’est possible, monsieur. Les rapports ont disparu. L’équipe médicale prétend qu’ils ont été volés. Mais la clinique a confirmé que les frais avaient été réglés par Vernier.
— En mars, vous dites, remarqua Laboughe. Il y a donc peu de chances que cela soit en rapport avec le meurtre ?
— En effet, monsieur, répondit l’inspecteur. J’inclinerais plutôt à penser que, si Vernier a bien été victime d’une campagne infamante, ces deux choses pourraient être liées.
— Allons, Thouron, commenta Laboughe en reniflant. Les calomnies sont rarement l’œuvre d’une personne d’honneur. Mais de là à commettre un meurtre…
— Dans des circonstances ordinaires, je serais d’accord avec ce principe. Mais un autre élément m’incite à penser que cette malveillance est montée d’un cran.
Comprenant que son inspecteur était loin d’avoir fini son exposé, Laboughe soupira et tira de la poche de son manteau une pipe Meerschaum, qu’il tapa
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