Serge Fiori : s'enlever du chemin
exposé
ses états d’âme à ses amis Facebook. Il avait parlé de Caruso et, s’adressant à Georges et partageant avec ceux qui le
lisent le souvenir des belles heures de bel canto que le père
et le fils avaient vécues ensemble, il avait cité ces paroles
de cette belle chanson de Lucio Dalla :
« Te voglio bene assai, ma tanto tanto bene sai »
Touchés, ses amis Facebook avaient rapidement répondu ; le musicien avait eu droit à des paroles d’espoir et à
des témoignages aussi émouvants qu’authentiques. À la
lecture de la conversation de ces heures, Serge avait fondu
en larmes. En relisant ces mots de mai 2011, il est de nouveau ému. Il retourne dans son salon, là où son studio est
installé. Il voit clairement l’image de Georges, assis dans
son fauteuil, rue Saint-Laurent, quelques minutes avant sa
mort. Il revit ce moment intense, prend sa guitare et écrit.
Puis, lorsqu’il note la dernière phrase de sa chanson, l’artiste est pris d’un grand frisson :
« Laisse-moi partir avant toé »
À l’évocation de cette petite phrase, Serge éclate de
nouveau en sanglots. Sa peine emplit le salon : Georges lui
manque cruellement. « Le plus flyé, c’est que les accords
que je compose, je ne sais pas où ils vont aller. Et quand
j’arrive avec cette dernière ligne, je te jure, j’ai la surprise de
ma vie. Les accords tombent directement sur le mantra de Shiva , que je me mets à chanter. » La chanson pour Georges s’achève donc exactement sur les mesures du mantra,
composé par Serge, mantra qui a vu Georges s’éteindre.
Synchronicité, destin, karma ou juste une formidable coïncidence qui met en lumière le lien profond qui unissait les
deux hommes ? Serge se montre très ému quand il raconte
ce moment de création fortuit, mais pourtant plein de sens :
« Il y a des hasards comme ça que tu ne comprends pas. Je
voulais lancer ma guitare, j’étais dans tous mes états. Que
l’on croie ou non à cela, je suis convaincu que mon père
m’aide. Le fait que ma première chanson commence avec
lui et qu’elle évoque sa mort n’est pas un hasard pour moi.
Quand j’ai voulu annoncer à Hélène ce qui venait d’arriver,
je suis allé la trouver et je lui ai dit : « Ça y est Hélène. This
is it , on l’a, notre album. Je suis reconnecté. » Elle a fondu
en larmes. « Avant cela, jamais Serge ne prenait une guitare en ma présence, se souvient Hélène. Cela l’intimidait,
disait-il. Ce jour-là, j’avais prétexté un peu de fatigue et je
m’étais retirée dans ma chambre pour y faire une sieste.
Serge est allé du côté de son studio et, en deux heures, il
a composé cette chanson magnifique. Quand il est venu
me voir, il pleurait à chaudes larmes. J’ai éclaté en sanglots
aussi. C’était un moment magique, émouvant, terriblement beau. »
D’autres chansons s’enchaînent, qui évoquent la grande
solitude qui frappe notre société de communication. Fiori
compose finalement pour sa mère une chanson qui parle de la vieillesse et de la solitude. Là encore, les accords
se placent tout seuls et la pièce se termine par le mantra Gayatri , un mantra à résonnance féminine, qu’il chante,
et auquel il projette d’ajouter des voix féminines. Et encore
une fois, Serge conserve toutes ses mélodies et ses paroles
dans sa tête. Rien n’est écrit : tout est gravé en lui, sur son
disque dur interne.
À la fin du mois de février, Serge prend contact avec
Pierre Lachance. « On a un album, j’ai douze tounes . » Silence. « J’ai douze chansons, Pierre.
—
Mais il va falloir que tu les retravailles, non ?
—
Non, elles sont parfaites.
—
Sérieusement ? »
Pierre, certain que Serge Fiori tarderait à créer son album, n’a pas de fonds à disposition à ce moment-là. Il a
investi une grosse somme sur un autre projet et demande
à Serge de retarder un peu l’achat du matériel qui lui sera
nécessaire avant de commencer. Lachance lui fera signe
dès qu’il aura l’argent. Les semaines s’écoulent ; avril arrive, puis mai passe. Fiori demeure sans nouvelles de son
ami. Quand juin se pointe, il reçoit l’appel de Normand
Corbeil, lequel lui annonce qu’il est atteint d’un cancer du
pancréas et qu’il a peu de chance de passer les fêtes.
La nouvelle déferle sur Serge Fiori comme un
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