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Serge Fiori : s'enlever du chemin

Serge Fiori : s'enlever du chemin

Titel: Serge Fiori : s'enlever du chemin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louise Thériault
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l’écoute, et l’accueil de ce qui est là
pour elle.   »
    Lorsqu’il parvient à s’enlever du chemin en s’armant de
patience et en accomplissant des gestes aussi quotidiens
et simples que saisir sa guitare et en jouer pendant des
heures, Serge arrive à se nourrir de cette énergie commune
qui le fascine. Un accord surgit soudain, qui en entraîne
un autre, et d’autres encore qui se combinent, deviennent
mélodie et enfin appellent sa voix   ; en osmose et en harmonie, le tout coule et se mêle au fleuve intarissable de la
création. Ces instants magiques, il se sent privilégié de les
avoir vécus à maintes reprises.
    Pour Serge Fiori, se retirer du chemin qui constituait une
assise importante de sa vie artistique – la scène – a suscité
en
lui
une
souffrance
innommable,
encore
présente
aujourd’hui, et devant laquelle il ressent une impuissance
infinie.
    En effet, il a dû abandonner ce qu’il aimait autant que
la musique elle-même   : la performance live . Il lui a fallu
s’abstenir d’aller à la rencontre de son public afin de percevoir ce fleuve à l’intérieur de lui   : il lui fallait renoncer à
faire l’amour à l’audience et s’éloigner ainsi de l’extase de
la grande communion avec l’autre afin de se retirer de la
vie publique, rompant avec une carrière qui s’apprêtait à
prendre son envol sur la scène internationale.
    Tranquillement, répondant à un simple réflexe de survie, Serge Fiori a alors commencé à s’effacer.
    Il s’est enlevé du chemin.

    S’enlever du chemin est devenu un art de vivre pour
Serge   : il tente d’appliquer cette philosophie dans ses relations, dans ses créations, ainsi que sur les plans physique
et matériel. Il avoue toutefois ne pas toujours y parvenir   :
«   Ce sont de belles théories, mais il y a des moments où je
me pète la gueule   ! Des moments où l’ego et la personnalité me mènent   : vais-je y arriver   ? Suis-je à la hauteur   ? Les
gens vont-ils m’aimer   ? Ma toune est-elle bonne   ?   » Dans ces
moments-là, Fiori accepte le questionnement et observe
dans le miroir le clown qui lui fait face   ; il le laisse faire ses
grimaces et attend que le calme revienne.
     
     
     
     
    Je ne veux pas paraître trop ésotérique, mais je trouve que
les affaires les plus brillantes qu’on crée ne viennent pas de nous. On a juste laissé passer l’énergie, on a été visité par la grâce.
Pour avoir écrit cette musique, Serge Fiori a été visité par la grâce
très jeune. Tous les deux, nous partageons cette vision
et cet espoir d’être visités par la grâce.
    Luc Picard

 
     
     
    CHAPITRE 1
Une jeunesse à l’italienne
    Où est allé tout ce monde
    Qui avait quelque chose à raconter
    On a mis quelqu’un au monde
    On devrait peut-être l’écouter
    Un
musicien
parmi
tant d’autres
     
     
    L’enfance de Serge Fiori se révèle aussi solitaire et sombre que la maison dans laquelle il a grandi. Fils unique de
Georges Fiori et de Claire Dauphinais, il est l’un des derniers descendants masculins de la lignée de Giuseppe Fiori, son grand-père.
Giuseppe
    En termes imagés, Fiori décrit son grand-père comme
un morceau de granit qui n’a pas été façonné entièrement,
qui aurait dû être sculpté, mais dont l’artiste se serait désintéressé avant d’avoir terminé son œuvre.
    Tout, chez cet homme, lui faisait peur   : son physique
imposant, ses gros pieds, son nez proéminent, sa voix rocailleuse, son accent italien prononcé. Bien qu’il ait vécu
au Québec jusqu’à sa mort, l’homme n’a jamais réussi à
parler un français correct. Il ne parvenait même pas à prononcer convenablement le prénom de son petit-fils   : soit
il utilisait l’expression mio filio , soit il l’appelait Shergué .
Les autres enfants de la famille évitaient le grand-père et
c’est Serge qui, à contrecœur, se retrouvait sur ses genoux,
étouffé par les embrassades du vieil homme et assailli de
chatouillis dans les oreilles   : «   Ça me gossait d’être son préféré   !   » reconnaît-il.
    Pourtant, l’homme le fascinait. À ses yeux, il représentait un insondable mystère   : une partie importante de ses
origines. Sans les racines italiennes que son grand-père lui
a transmises, il n’est pas certain que Serge aurait exécuté
la musique qu’il a composée de la même façon. On a souvent fait remarquer à Fiori qu’il y

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