Serge Fiori : s'enlever du chemin
de tout. Georges s’avère un père toujours absent et
Claire, submergée de travail et indifférente au bien-être de
son fils, gagne son lit dès qu’elle rentre du travail : à sept
heures du soir, elle dort déjà. L’arrivée d’Albertine au foyer
familial va littéralement sauver Serge de la solitude dans
laquelle il demeurait cantonné. Elle prend tout en charge :
elle prépare les repas, supervise les devoirs et les leçons du
petit, prend soin de Claire et de Georges, en plus de s’occuper de son mari, un alcoolique chronique qui effectue
des razzias quotidiennes dans le bar de Georges, tout en
lui causant grand tort en répandant dans le voisinage de
nombreux ragots à son propos. La présence attentionnée
d’Albertine assure un semblant d’unité à cette famille dysfonctionnelle.
Le soir venu, Claire endormie et Georges parti, elle descend en douce chercher son petit-fils et l’entraîne à sa suite dans sa chambre. Le garçon adore et anticipe ce rituel ;
afin de ne pas vexer Claire, Serge fait semblant d’aller se
coucher quand sa mère le lui ordonne puis, étendu sous
la couverture, attend impatiemment que sa grand-mère
vienne enfin le chercher. Parvenus dans la chambre d’Albertine, le garçon et sa grand-mère s’installent devant le
téléviseur et discutent de choses et d’autres jusqu’au petit
matin. L’enfant a beau aller à l’école le matin venu, cette
soif d’apprendre qu’étanche Albertine remplace les nuits
complètes de sommeil, et ces heures passées en compagnie de sa grand-mère le dynamisent beaucoup plus qu’elles ne le fatiguent. Au sein de cette chambre devenue son
refuge, Albertine initie Serge à la vie, à la culture, au monde.
Ensemble, ils écoutent et commentent les documentaires
diffusés en français ou en anglais : c’est qu’Albertine a très
tôt enseigné l’anglais à son petit-fils.
Serge a cinq ans quand, un jour qu’il joue près de sa
grand-mère, celle-ci se met subitement à lui parler en anglais. Perplexe, l’enfant s’interroge sur ce qu’elle dit ; peu
après, il commence à répéter, et ce, presque sans accent,
les mots qu’il vient tout juste d’entendre. Dès lors, son apprentissage s’effectue à une cadence remarquable, et de fil
en aiguille, il intègre cette nouvelle langue. Afin d’en peaufiner l’usage, Albertine et son petit-fils prennent l’autobus
deux ou trois fois par semaine pour se rendre au cinéma et
assister aux projections de films en anglais, surtout des films
musicaux, les musicals, dont sa grand-mère est friande.
Dans le secret de cette chambre, Albertine et lui s’imprègnent de la culture avec ravissement. Films, documentaires, reportages politiques, sport : tout est au menu de leurs
soirées complices. Au-delà d’un souvenir impérissable
de ces moments magiques, Serge Fiori puisera, dans ces
soirées échelonnées sur plusieurs années, les fondements
mêmes de son identité de jeune Québécois, son ouverture
au monde, son goût passionné pour l’art, la danse, la musique, ainsi que son intérêt pour la politique et sa passion
pour l’être humain. Albertine elle-même y trouvera son
compte : en plus de vivre cette relation privilégiée avec son
petit-fils, elle laisse ainsi libre cours à sa passion pour les
arts et à son penchant pour la culture, et ouvre la porte à
la fibre créatrice qui vibre en elle. Même si, comme beaucoup de femmes de sa génération, elle accepte son rôle,
tient maison et prend soin d’autrui avec abnégation, elle
nourrit cette part méconnue et créatrice de sa personnalité grâce à ses soirées passées auprès de Serge.
Le hockey va occuper une grande place dans ces soirées
exceptionnelles. Serge est un partisan inconditionnel des
Canadiens. Qui ne le serait pas ? Il assiste à presque tous les
matchs joués à Montréal, assis derrière le banc des joueurs.
(« Je pouvais toucher le chapeau de Toe Blake ! ») Eh bien,
Serge découvre rapidement que sa grand-mère Albertine
partage sa passion dévorante pour les Habitants et qu’elle
semble même, si c’est possible, plus fanatique que lui !
Les soirs où se jouent les matchs à l’étranger, Albertine
et son petit-fils s’installent à huit heures devant la télé, et
suivent ensemble, en noir et blanc, les péripéties de leurs
idoles communes. Ces retransmissions – la
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