Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
est le nerf de la guerre, C’était une chose de couler les bateaux qui approvisionnaient en armes le FLN ou de piéger tes trafiquants d’armes comme le Service Action le faisait depuis trois ans. Mais il était encore plus efficace d’empêcher le FLN de prélever et de recevoir de l’argent pour acheter ces armes. L’essentiel des fonds recueillis venait en effet de France. C’était l’argent de tous les ouvriers et commerçants algériens qui étaient purement et simplement rackettés sur le territoire métropolitain. Ceux qui refusaient de payer étaient égorgés ou abattus d’une rafale de mitraillette avec la bénédiction de certains Français favorables à la cause du FLN.
L’argent passait par des réseaux de porteurs de valises de billets. Bien entendu, il arrivait que des valises disparaissent au passage. On savait tout cela mais personne, à Paris, ne s’en préoccupait, à l’exception d’une force spéciale composée de policiers algériens chargés d’agir avec brutalité contre le FLN.
Le réseau de porteurs de valises le plus connu était le réseau Jeanson mais il en existait d’autres, tout aussi efficaces. Il n’y avait pas de réelle volonté politique de les démanteler, puisque le FLN avait l’habileté de ne s’en prendre qu’aux Algériens. L’argent servait à acheter des armes en Belgique, en Suisse et en Tchécoslovaquie. Des armes dont on se servait ensuite contre l’armée française, contre les pieds-noirs et contre les musulmans hostiles au FLN.
Une autre partie de cet argent arrivait à Alger. Bigeard avait trouvé de très grosses sommes quand il avait interpellé Ben Tchicou. Massu avait envoyé cet argent à des œuvres charitables agissant en métropole au profit de la communauté musulmane.
Il était assez facile d’opérer contre les porteurs de valises. Sûrs de leur bon droit, bénéficiant du soutien d’intellectuels et de journalistes influents, fiers de ce qu’ils faisaient, comme ils le furent encore des années après 80 , ils ne se méfiaient pas. Du reste, en France, l’opinion se souciait peu de la guerre d’Algérie, mis à part les musulmans rackettés dans les usines et les parents des appelés qui avaient été envoyés au casse-pipe.
J’avais recueilli des informations précises, tant sur les réseaux de porteurs de valises que sur ceux qui les soutenaient. Il s’agissait de sympathisants tels que Hervé Bourges, Olivier Todd ou Gisèle Halimi, par exemple. Cette dernière était d’ailleurs discrètement venue jusqu’à Alger où elle avait réussi à rencontrer Suzanne Massu qui, elle aussi, avait été avocate. Nous ne l’avions appris qu’au dernier moment. Cela me parut une insupportable provocation et j’étais parti avec Garcet pour l’intercepter. Nous l’avons manquée de peu.
J’avais ainsi établi une liste d’une douzaine de personnes à neutraliser et j’avais élaboré un plan dont j’avais affiné les détails avec Trinquier.
Les opérations prévues devaient être menées à Paris avec une équipe très légère. Les cibles auraient été abattues par balles,
La série d’attentats meurtriers du lundi 3 juin 1957 empêcha l’accomplissement de ces projets. L’action était signée par le FLN. De faux employés de l’EGA 81 , envoyés par l’équipe d’Ali la Pointe, piégèrent trois lampadaires proches de trois stations de trolleybus et réglèrent leurs bombes pour l’heure de la sortie des bureaux. Il y eut huit morts, dont trois enfants, et une centaine de blessés. Ces attentats firent autant de victimes musulmanes qu’européennes.
Dans l’après-midi du dimanche suivant, le 9 juin, jour de la Pentecôte, une bombe de deux kilos éclata nous l’estrade de l’orchestre du Casino de la Corniche, un dancing situé à dix kilomètres à l’est d’Alger, près de Pointe-Pescade, et fréquenté exclusivement par des Européens. L’explosion, d’une rare violence, fit neuf morts et quatre-vingt-cinq blessés. Les musiciens furent pulvérisés. On ne retrouva rien du chef d’orchestre. La chanteuse eut les deux jambes arrachées. De tous les attentats, c’est celui qui me parut le plus spectaculaire et qui me frappa le plus.
Massu était furieux. D’autant que, le surlendemain, l’enterrement des victimes donna lieu à une flambée de violence sans précédent. Il fallut protéger la Casbah pour éviter un bain de sang, peut-être même l’incendie dont on nous avait menacés. Le
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