Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
Avant-propos
Comme beaucoup de mes camarades qui ont combattu en Algérie, j’avais décidé, non pas d’oublier, mais de me taire. Mon passé dans les services spéciaux de la République m’y prédisposait. De plus, l’action que j’ai menée en Algérie étant restée secrète, j’aurais pu m’abriter derrière cette protection. Aussi s’étonnera-t-on vraisemblablement qu’après plus de quarante ans, je me sois décidé à apporter mon témoignage sur des faits graves qui touchent aux méthodes utilisées pour combattre le terrorisme, et notamment à l’usage de la torture et aux exécutions sommaires.
Même si je suis conscient que le récit qui va suivre est susceptible de choquer – ceux qui savaient et auraient préféré que je me taise comme ceux qui ne savaient pas et auraient préféré ne jamais savoir –, je crois qu’il est aujourd’hui utile que certaines choses soient dites et, puisque je suis, comme on le verra, lié à des moments importants de la guerre d’Algérie, j’estime qu’il est désormais de mon devoir de les raconter. Avant de tourner la page, il faut bien que la page soit lue et donc, écrite.
L’action que j’ai menée en Algérie, c’était pour mon pays, croyant bien faire, même si je n’ai pas aimé le faire. Ce que l’on fait en pensant accomplir son devoir, on ne doit pas le regretter.
De nos jours, il suffit souvent de condamner les autres pour donner au tout-venant des gages de sa moralité. Dans les souvenirs que je rapporte, il ne s’agit que de moi, Je ne cherche pas à me justifier mais simplement à expliquer qu’à partir du moment où une nation demande à son armée de combattre un ennemi qui utilise la terreur pour contraindre la population attentiste à le suivre et provoquer une répression qui mobilisera en sa faveur l’opinion mondiale, il est impossible que cette armée n’ait pas recours à des moyens extrêmes.
Moi qui ne juge personne et surtout pas mes ennemis d’autrefois, je me demande souvent ce qui se passerait aujourd’hui dans une ville française où, chaque jour, des attentats aveugles faucheraient des innocents. N’entendrait-on pas, au bout de quelques semaines, les plus hautes autorités de l’État exiger qu’on y mette fin par tous les moyens ?
Que ceux qui liront cet ouvrage se souviennent qu’il est plus aisé de juger hâtivement que de comprendre, plus commode de présenter ses excuses que d’exposer les faits.
Philippeville, 1955
Une Jeep m’attendait sur le quai pour me conduire au PC de la demi-brigade qui était installé dans une maison, à cinq cents mètres à peine du port. Le reste de l’unité était réparti dans des casernements de la ville et près du terrain d’aviation où était établie une école de saut.
Quand je me suis présenté, l ’ élégant colonel de Cockborne, qui commandait l’unité, me reçut avec une courtoisie toute britannique. Après m’avoir écouté en souriant légèrement, peut-être à cause de mon accent de mousquetaire, il entra tout de suite dans le vif du sujet :
— Ça tombe vraiment bien que vous veniez des services spéciaux, j’ai justement besoin d’un officier de renseignements.
— Je suis heureux de cette coïncidence, fis-je en souriant à mon tour. Seulement, il y a un problème.
— Et lequel ?
— On a dû mal vous informer : je ne suis pas du tout un spécialiste du renseignement. Je viens du Service Action.
— Je suis parfaitement au courant de vos états de service et je suis sûr que vous allez très vite vous adapter. Et de l’action, je vous garantis que vous en aurez, car si la ville est calme, du côté de la campagne c’est beaucoup plus agité. D’ailleurs, mes bataillons sont en opérations.
— Où cela, mon colonel ?
— L’un est dans l’Aurès, l’autre à la frontière tunisienne.
Les bataillons de la demi-brigade participaient en effet à des actions ponctuelles contre des rebelles qui attaquaient les villages et les fermes isolées, pillaient et assassinaient les pieds-noirs.
C’est ainsi que je devins officier de renseignements. Ce type de poste, qui n’a pas de raison d’être en temps de paix, n’avait pas été maintenu par l’état-major. Il me fallut donc le recréer, et à partir de rien puisque le colonel ne me donna ni consignes ni archives.
En temps de guerre, l’officier de renseignements est principalement chargé de rassembler la documentation nécessaire à
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