Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
l’exécution des opérations. Cette documentation porte sur le terrain et sur l’adversaire. De telles tâches sont peu estimées par le milieu militaire. Pour les accomplir, il faut une mentalité particulière qui permette de souffrir les railleries des autres cadres. Par ailleurs, le succès du travail d’un OR est proportionnel à la valeur de son chef et à l’intérêt de ce dernier pour le travail de renseignement. Mais rares sont les commandants de régiment qui s’y intéressent. Bref, on ne m’avait donc pas fait de cadeau en m’envoyant ici.
Le chauffeur de la Jeep me conduisit à mon appartement, installé dans des baraques Adrian 18 aménagées.
Philippeville était une coquette sous-préfecture de vingt et un mille habitants. J’appris vite à connaître tout le monde. Tout commença par des mondanités provinciales. On me reçut dans les dîners, dans les cocktails. Les débuts de ce nouveau séjour sous le soleil d’Afrique avaient l’apparence d’une villégiature. En dehors de mes heures de travail, j’avais un peu de temps pour me promener sur la plage, lire, écouter la radio, aller parfois au cinéma.
Après quelques semaines, cependant, il devint évident que mon poste n’avait rien d’une sinécure et les moments de loisir se firent de plus en plus rares. Ma tâche était simple dans le principe, mais complexe à cause des moyens à mettre en œuvre. Il s’agissait d’obtenir tous les renseignements possibles sur la rébellion, qu’ils émanent de civils ou de militaires. Or il y a deux manières d’obtenir des renseignements : attendre qu’ils vous parviennent ou aller les chercher. Au fil des semaines, la rébellion prenant de la consistance, le temps commença à compter et mon rôle devint plus offensif.
Le gouvernement de Pierre Mendès France venait d’être renversé et son successeur, Edgar Faure, souhaitait régler les différents dossiers du Maghreb dans les meilleurs délais. C’est pourquoi Paris avait décidé de liquider le FLN 19 le plus vite possible. Aux raisons politiques s’ajoutaient des considérations liées à la situation internationale, puisque le monde entier commençait à s’intéresser à l’affaire.
Liquider le FLN, cela supposait évidemment une volonté politique mais aussi des moyens adaptés. La police n’était pas faite pour cette mission et les cadres des régiments n’étaient pas non plus formés pour ce type de guerre où une armée classique doit affronter une rébellion qui, pour vivre et se développer, est obligée de se mêler à la population civile et de l’entraîner dans sa lutte par la propagande et la terreur. On commençait donc à envoyer des nettoyeurs et j’en faisais sûrement partie. Il fallait identifier ses dirigeants, les localiser et les éliminer discrètement. Obtenir des informations sur les chefs du FLN me conduirait forcément à capturer des rebelles et à les faire parler.
Philippeville était située dans le Nord-Constantinois, la région où le FLN, à l’époque, était le mieux implanté. S’il y avait une flambée de violence en Algérie, on pouvait facilement prévoir que ce serait dans ce secteur. Restait à savoir où, quand et comment. Tel était mon travail.
Pour opérer, il me fallait une équipe. Le colonel mit rapidement à ma disposition deux gradés, dont un sergent, Kemal Issolah, et un caporal-chef, Pierre Misiry.
Issolah venait d’une famille de janissaires turcs implantée en Kabylie par le sultan, avec mission de maintenir l’ordre en échange d’honneurs et de terres. Cette famille aisée avait rejoint le camp français après la conquête de l’Algérie en 1830. Elle avait fourni de nombreux cadres à l’armée. Le dernier en date était le père de Kemal qui avait fini commandant de tirailleurs. Kemal, lui, s’était engagé à dix-huit ans après sa préparation militaire et, devenu caporal-chef, il avait servi en Indochine comme tireur d’élite. Son bataillon avait été anéanti. Kemal faisait partie des très rares survivants. Volontaire pour se rengager dans les parachutistes, il avait été muté au 1 er RCP et nommé sergent. Il était impressionnant par sa connaissance de tous les dialectes arabes et berbères parlés dans le monde musulman. Jusque-là, cet élément précieux n’avait pas été utilisé à sa juste valeur. Le colonel l’avait nommé vaguemestre, pensant qu’il ne risquait pas de partir avec l’argent des mandats puisqu’il
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