Shogun
mais vous êtes un homme docile et
vous vous appliquez. C’est ce qui importe. On vous donnera du temps, Anjin-san,
ne vous inquiétez pas. Je vous aiderai. » Omi voyait bien que la presque
totalité de ses paroles n’était pas comprise mais il s’en fichait, du moment
que l’Anjin-san en comprenait le contexte.
« Je veux être votre ami », dit-il.
Il répéta sa phrase très clairement.
« Vous comprenez ?
— Ami ? Je comprends “ami”. »
Omi se montra du doigt, puis pointa son index
sur lui. « Je veux être votre ami.
— Merci. Très honoré. »
Omi sourit encore, s’inclina d’égal à égal et
s’en alla.
Ami avec lui ? marmonna Blackthorne.
Aurait-il oublié ? Pas moi. Il s’assit sous la véranda et regarda Ueki-ya
réparer les dommages et enlever les feuilles éparses.
Aux premières lueurs de l’aube, il avait été
épouvanté de voir l’importance des dégâts.
« Cette tempête aurait à peine ébranlé
une maison anglaise, avait-il dit à Mariko. C’était une tempête, c’est vrai,
mais elle n’était pas très grosse. Pourquoi ne construisez-vous pas de maisons
de brique et de pierre ?
— À cause des tremblements de terre,
Anjin-san. Pour éviter que les habitants ne soient tués ou blessés par des chutes
de pierres. Vous allez voir comme tout revient vite en place.
— Oui, mais vous avez les inconvénients
des incendies. Qu’arrive-t-il quand la saison des grands vents commence ?
Les tai-funs ?
— Ça devient alors très
difficile. » Elle lui avait expliqué les tai-funs et leurs saisons – de juin à septembre, normalement.
« Pourquoi est-ce que les gens rient
devant la catastrophe ?
— Nous trouvons honteux et impoli de
montrer des sentiments forts comme la peur. Nous les cachons donc derrière le
rire ou le sourire. Bien sûr, nous avons tous peur, même si nous ne le montrons
jamais. »
Certains d’entre vous le montrent, pensa
Blackthorne, Nebara Jozen entre autres, qui était mort horriblement, pleurant
de peur, demandant grâce d’une mort lente et cruelle. Blessé à coups de
baïonnette au milieu des éclats de rire, il avait dû courir puis avait été
empalé. Son sang jaillissait de toutes parts. Naga avait ensuite tourné son
attention sur les autres samouraïs. Trois d’entre eux s’étaient immédiatement
agenouillés, avaient dénudé leur ventre pour se faire formellement seppuku.
Trois de leurs camarades, derrière eux, officiaient comme seconds. De leurs
longues épées brandies, ils avaient cinglé l’air et les avaient décapités d’un
seul coup. Deux des trois derniers samouraïs s’étaient ensuite agenouillés, le
troisième leur servant de second. Le premier des deux avait été décapité au
moment où il ramassait son couteau. L’autre avait dit : « Non. Moi,
Hirasaki Kenko, je sais mourir. Je sais comment un samouraï doit mourir. »
Jeune homme élancé, parfumé, presque beau, à la peau laiteuse, aux cheveux
propres et bien huilés, Kenko avait ramassé son couteau respectueusement.
« Je proteste pour la mort de Nebara Jozen, pour celles de ses
hommes », avait-il dit fermement, en saluant Naga. Il avait regardé le
ciel une dernière fois et avait souri à son second : « Sayonara, Tadeo. » Puis il avait enfoncé profondément la lame dans
la partie gauche de son ventre. Il avait ensuite déchiré ses entrailles sur
toute la largeur, avait sorti son couteau, l’avait replongé aussitôt au-dessus
de l’aine et avait remué la lame en silence. Ses entrailles lacérées s’étaient
déversées sur ses genoux. Au moment où sa tête hideusement déformée par la
souffrance tombait en avant, son second la lui avait tranchée d’un seul coup
d’épée magistral. Naga avait ramassé la tête du samouraï, lui avait fermé les
yeux. Il avait ordonné à ses hommes de veiller à ce que la tête soit lavée,
enveloppée et envoyée avec tous les honneurs à Ishido, accompagnée d’un compte
rendu détaillé sur l’héroïsme de Hirasaki Kenko. Le dernier samouraï s’était
agenouillé. Il n’y avait plus personne pour lui servir de second. Lui aussi
était jeune. Ses doigts tremblaient. Il avait par deux fois fait son devoir
envers ses camarades. Il leur avait proprement et honorablement tranché la
tête, leur évitant ainsi la douleur et la honte de la peur. Il avait assisté
son très cher ami qui venait de mourir comme un samouraï devait mourir, en
s’immolant lui-même,
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