Shogun
ce point ? Foutez le camp ! Laissez-moi
dormir !
— Bain ! » ordonna Mura, choqué par la révolte
du barbare – summum de la mauvaise éducation. Non seulement le barbare puait,
et il puait vraiment, mais, à sa connaissance, il ne s’était pas correctement
baigné depuis trois jours. La courtisane refuserait de coucher avec lui, quel
que soit le prix. Et elle aurait raison. Ces affreux étrangers, pensa-t-il.
Étonnant ! Leurs manières de vivre sont incroyablement sales ! Tant
pis. Je suis responsable de toi. Je vais t’apprendre les bonnes manières. Tu
prendras un bain comme n’importe quel autre humain, et Mère saura ce qu’elle
veut savoir. « Bain !
— Foutez le camp d’ici ou je vous mets en
morceaux ! »
Blackthorne le fusilla du regard en lui faisant signe de s’en aller.
Moment de silence. Trois Japonais apparurent en compagnie de
trois femmes. Mura leur expliqua sèchement ce qui se passait, puis dit
péremptoirement à Blackthorne : « Bain, s’il te plaît.
— Dehors ! »
Mura avança seul au milieu de la pièce. Blackthorne tendit
le bras. Il ne voulait pas faire de mal à cet homme ; seulement le
repousser. Brusquement, Blackthorne jeta un cri de douleur. Mura venait en
quelque sorte de lui casser le coude avec le tranchant de la main. Le bras de
Blackthorne pendait, momentanément paralysé. Furieux, il chargea. Mais la pièce
se mit à tournoyer devant ses yeux. Il se retrouva face contre terre. Un autre
coup lui paralysa une partie du dos . Il ne pouvait plus
bouger. « Bon Dieu… »
Il essaya de se lever, mais ses jambes ne répondaient plus.
Mura tendit son petit doigt d’acier et toucha un centre
nerveux dans le cou de Blackthorne qui ressentit une douleur épouvantable.
« Ô Seigneur Dieu…
— Bain, s’il te plaît ?
— Oui. Oui », murmura Blackthorne du fond de sa
souffrance. Il était suffoqué, d’avoir été vaincu aussi facilement par un si
petit homme ; il gisait à terre, comme un enfant prêt à avoir la gorge
tranchée.
« S’il te plaît, désolé, capitaine-san » . d it Mura, en s’inclinant profondément. Il avait honte du
manque de dignité du barbare qui gémissait comme un bébé en train de téter.
Oui, désolé, pensa-t-il, mais il fallait le faire. Tu as dépassé les bornes,
même pour un barbare. Tu gueules comme un fou, tu contraries ma mère, tu
troubles la tranquillité de ma maison, tu déranges mes serviteurs et ma femme a
dû remplacer un panneau coulissant. Je ne peux décemment pas tolérer ton manque
évident d’éducation. Je ne peux te laisser agir, dans ma maison, contre mon
gré. C’est pour ton bien. Il n’y a de toute façon pas grand mal puisque les
barbares ne peuvent pas perdre la face ; ils n’ont aucune dignité. À part
les prêtres – ils sont différents. Ils sentent mauvais eux aussi, mais ils sont
l’oint de Dieu le Père – ils ont donc de la dignité. Toi, tu es un menteur et
un pirate. Tu n’as pas d’honneur. Incroyable ! Ça se dit chrétien !
Ça ne te servira malheureusement à rien. Notre daimyô hait la Vraie Foi
et les barbares. Il ne les tolère que parce qu’il y est obligé. Mais tu n’es
pas portugais et tu n’es pas chrétien. Tu n’es donc pas protégé par la loi, neh ?
Tu es donc un homme mort – au mieux, un homme mutilé. Il est de mon devoir que
tu sois propre pour aller vers ton destin. « Bain très bon. »
Il aida les autres hommes à transporter Blackthorne,
toujours sonné. Ils traversèrent le jardin, une allée couverte dont il était
très fier et arrivèrent au bain. Les femmes suivaient.
2
« Kasigi Yabu, daimyô et seigneur d’Izu, veut
savoir qui vous êtes, d’où vous venez, comment vous êtes arrivés ici et quels actes de piraterie vous avez commis, dit le père
Sebastio.
— Je n’arrête pas de vous répéter que nous ne sommes
pas des pirates. » Blackthorne était agenouillé face à l’estrade, dressée sur la place du village ; sa tête souffrait du coup
qu’il avait reçu. Garde ton sang-froid et fais fonctionner tes méninges, se
dit-il. Nos vies sont menacées. Tu n’es qu’un porte-parole, un point c’est
tout. Le jésuite nous est hostile et c’est le seul interprète disponible ;
tu n’as aucun moyen de savoir ce qu’il dit et la seule chose que tu sais c’est
qu’il ne te viendra pas en aide… Il pouvait presque entendre le vieil Alban
Caradoc lui dire « Garde ton sang-froid, mon gars.
Weitere Kostenlose Bücher