Shogun
pauvre ami, cette vérité-là ne va
pas nourrir ta famille pour autant, ni effacer cette tâche qui a souillé notre
village.
Oh, Sainte Vierge, bénissez mon vieil ami et donnez-lui la
joie de votre Paradis !
Je vais avoir pas mal d’ennuis avec Omi-san, se dit Mura. Et
comme si ça ne suffisait pas, voilà notre daimyô qui arrive.
Une angoisse épouvantable le tenaillait chaque fois qu’il
pensait à son suzerain, Kasigi Yabu, daimyô d’Izu – oncle d’Omi. La
cruauté de cet homme, son manque d’honneur, la façon dont il enlevait aux
villages la part qui leur revenait de droit sur la chasse et les récoltes – le
poids insupportable de son règne. Quand la guerre avait éclaté, Mura s’était
demandé de quel côté se rangerait Yabu : sire Ishido ou sire
Toranaga ? Nous sommes pris entre deux géants et nous sommes leur jouet.
Au nord, Toranaga, le plus grand général encore vivant,
seigneur du Kwanto, des Huit Provinces, le plus important daimyô du
pays, général en chef des armées de l’Est ; à l’ouest, les terres
d’Ishido, seigneur de la forteresse d’Osaka, conquérant de la Corée, protecteur
de l’héritier, général des armées de l’Ouest.
Le Tokaidô, la grande route côtière, reliait Yedo, capitale
de Toranaga, à Osaka, capitale d’Ishido.
Qui allait gagner ?
Personne.
Car la guerre allait encore une fois entraîner tout
l’empire. Les alliances allaient se désagréger ; les provinces allaient se
battre entre elles, les villages entre eux, comme cela avait toujours été. Sauf
depuis dix ans où une époque sans guerre, appelée paix, avait été pour la
première fois instaurée à travers l’empire.
Je commençais à aimer la paix, pensa Mura.
Mais l’homme qui avait instauré la paix était mort. Le
soldat-paysan, devenu samouraï puis général et finalement Taikô, seigneur
absolu et protecteur du Japon, était mort il y a un an et
son fils, âgé de sept ans, était trop jeune pour hériter de cette charge. Le
gosse est comme nous : un pion au milieu des géants. Et la guerre est inévitable.
Maintenant, le Taikô ne peut même plus protéger son fils bien-aimé, sa
dynastie, son héritage ou son empire.
Il devait sans doute en être ainsi. Le Taikô avait soumis le
pays, instauré la paix, forcé tous les daimyôs du pays à se prosterner
devant lui, comme des paysans, réorganisé les fiefs à sa guise. Il était mort.
C’était un géant au milieu des pygmées. Mais il était
peut-être juste que son œuvre et sa grandeur meurent avec
lui. Ce n’est pas un homme, mais une graine emportée par le vent ; seuls
les montagnes, la mer, les é toiles et ce pays des dieux
sont vrais et éternels.
Nous sommes coincés et c’est un fait ; la guerre
éclatera bientôt et c’est un fait. Le village sera toujours un village, car les
rizières sont fertiles, la mer poissonneuse et c’est encore un fait.
Mura revint à ce pirate, ce barbare qui lui faisait face. Tu
es un démon envoyé pour nous ruiner, pensa-t-il ; tu
ne nous as rien apporté d’autre que des soucis depuis ton arrivée. Tu n’aurais
pas pu choisir un autre village ?
« Capitaine-san veut Onna ? » Pensant
que le pirate serait aussi content d’être sur le ventre que debout, de sentir
son pi eu bien au chaud, il répéta : « Onna ?
— Non. » Blackthorne n’avait qu’une envie,
dormir. Mais il se força à sourire, car il devait mettre Mura de son côté. Il
montra le crucifix. « Vous êtes chrétien ? »
Mura dit oui de la tête.
« Je suis chrétien, moi aussi.
— Père dit non. Pas chrétien.
— Je suis chrétien. Pas catholique. Mais chrétien quand même. »
Mura ne comprenait pas. Blackthorne fit ce qu’il put, mais
n’arriva pas à s’expliquer.
« Tu veux Onna ?
— Le – le dimyo – quand vient ?
— Dimyo ? Pas comprendre.
— Dimyo. Euh, je veux dire daimyô.
— Ah, daimyô, – Hai. Daimyô ! » Mura haussa les épaules. « Daimyô vient quand venir. Dormir.
D’abord propre. S’il te plaît.
— Quoi ?
— Propre. Bain, s’il te plaît.
— Je ne comprends pas. »
Mura se rapprocha et se tordit le nez de dégoût.
« Toi puer. Mauvais. Les Portugais pareils. Ici maison
propre.
— Je prends un bain quand ça me chante et je ne pue
pas ! »
Blackthorne écumait : « Tout le monde sait que les
bains sont dangereux. Vous voulez que j’attrape une fluxion ? Vous croyez
que je suis stupide à
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