Shogun
Quand la tempête est
déchaînée et que la mer est démontée, c’est à ce moment-là que tu as vraiment
besoin de garder ton sang-froid ; c’est ce qui te
permet de survivre, toi et ton bateau. Si tu es le pilote, garde ton sang-froid
et extrais-en la sève quotidienne. »
« Dites d’abord au daimyô que nous sommes en
guerre, que nous sommes ennemis. Dites-lui que l’Angleterre et les Pays-Bas
sont en guerre contre l’Espagne et le Portugal.
— Je vous demande une fois de plus de vous exprimer
simplement et de ne pas déformer les faits. Les Pays-Bas, et quel
que soit d’ailleurs le nom que vous, sales pirates néerlandais, lui donniez –
Hollande ou Provinces-Unies, n’est qu’une petite province rebelle de l’Empire
espagnol. Vous êtes le meneur d’une bande de traîtres, insurgés contre leur roi
légitime.
— L’Angleterre est en guerre et les Pays-Bas ont été
sépa… » Blackthorne se tut ; le prêtre ne l’écoutait plus, mais
traduisait. Le daimyô, petit homme trapu, les jambes repliées sous lui,
était confortablement agenouillé sur l’estrade. Quatre lieutenants parmi
lesquels Kasigi Omi, son neveu et vassal, l’entouraient. Ils portaient tous des
kimonos de soie, des surcots richement brodés, de larges ceintures qui les
étranglaient à la taille. Et les inévitables épées.
Mura était à genoux dans la poussière de la place. Il était
le seul habitant du village à être présent. Comme autres témoins : les
cinquante samouraïs, venus avec le daimyô, assis en rangs disciplinés et
silencieux. La canaille d’équipage se tenait derrière
Blackthorne et était agenouillée comme lui ; des gardes l a
surveillaient de près. Quand on était venu les chercher, ils avaient
dû, bien qu’il fût au plus mal, transporter le commandant ; on lui avait
cependant permis de rester allongé, à demi comateux, par
terre. Une fois devant le daimyô, Blackthorne et ses hommes s’étaient
inclinés, mais ça n’avait pas suffi. L es samouraïs les
avaient forcés à se mettre à genoux et leu r avaient
enfoncé la tête dans la poussière comme ils le faisaient avec les paysans.
Blackthorne avait tenté de résister ; il avait crié au prêtre que telle
n’était pas leur coutume, qu’il était le chef, qu’il était un envoyé de son
pays, qu’il devait être trait é en conséquence. Mais la
hampe d’une lance l’avait jeté à terre, chancelant. Ses hommes s’étaient
rassemblés pour répondre à l’attaque, mais il leur avait intimé l’ordre de
s’arrêter et d e s’agenouiller. Ils avaient, heureusement,
obéi. Le daimyô avait émis un son guttural que le prêtre avait traduit
comme un avertissement : vous devez dire la vérité et
la dire vite, Blackthorne avait demandé une chaise, mais le prêtre lui avait
répondu qu’il n’y en avait pas au Japon.
Tout en s’adressant au daimyô, Blackthorne concentrait toute son attention sur le prêtre et cherchait le
défaut dans sa cuirasse. Il y a de l’arrogance et de la cruauté sur le visage
du daimyô, pensa-t-il. Je parie que c’est un vrai
salaud. Le prêtre ne parle pas japonais couramment. Ah, tu
as vu ça ? Irritation, impatience ? Est-ce que le daimyô ademandé
un mot plus clair et plus simple ? Je crois bien que oui. Pourquoi le
prêtre porte-t-il une soutane orange ? Est-ce que le daimyô est
catholique ? Regarde, le jésuite est très obséquieux. Il transpire
beaucoup. Je parier ais bien que le daimyô n’est pas
catholique. Sois précis ! Il n’est peut-être pas catholique. Tu
n’obtiendras, de toute façon, rien de lui. Comment peux-tu te servir de ce
putain de salaud ? Comment faire pour lui adresser la parole
directement ? Comment faire pour manœuvrer le prêtre ? Comment faire
pour le discréditer ? Quel est le moyen ? Allez, cogite ! Tu en sais suffisamment sur les Jésuites…
« Le daimyô vous ordonne de vous dépêcher et de
répondre à ses questions.
— Oui. Bien sûr. Excusez-moi. Mon nom est John
Blackthorne. Je suis anglais, pilote en chef d’une flotte hollandaise. Notre
port d’attache est Amsterdam.
— Une flotte ? Quelle flotte ? Vous mentez.
Il n’y a pas de flotte. Pourquoi un Anglais serait-il pilote d’un bateau
hollandais ?
— Chaque chose en son temps. Veuillez d’abord traduire
ce que je viens de dire.
— Pourquoi êtes-vous le pilote d’un bateau corsaire
néerlandais ? Dépêchez-vous ! »
Blackthorne se décida à
Weitere Kostenlose Bücher