Shogun
chercher. » Omi hésita.
« Vous devriez peut-être le garder, Sire, et faire en sorte que les
barbares apprennent à nos marins à le diriger.
— En quoi ai-je besoin de bateaux
barbares ? » Yabu se mit à rire ironiquement. « Vais-je me
transformer en un de ces fumiers de marchands ?
— Bien sûr que non, Sire, dit Omi rapidement . Je pensais simplement que Zukimoto aurait
pu en faire quelque chose.
— En quoi ai-je besoin d’un navire de commerce ?
— Le prêtre a dit que c’était un bât iment
de guerre, Sire. Il semblait en avoir peur. Quand la guerre sera déclarée, un navire de guerre pourrait…
— Notre guerre se fera sur terre. La mer est aux
marchands. Ce sont tous des charognes d’usuriers, de pirates et de pêcheurs. » Yabu se leva et descendit les quelques marches qui
menaient à la porte du jardin. Un samouraï tenait la bride de son cheval. Il
s’arrêta et fixa la mer, au loin.
Ses genoux se mirent à trembler.
Omi suivit son regard.
Un bateau contournait le cap. C’était une grosse galère avec
une multitude de rames. Le plus rapide de tous les navires côtiers japonais,
car il ne dépendait ni du vent ni de la marée. Le pavillon, au sommet du mât,
arborait l’emblème de Toranaga.
7
Toda Hiro-matsu, suzerain des provinces de Sagami et Kozuké,
général et conseiller favori de Toranaga, commandant en chef de toutes ses
armées, descendit l’échelle de coupée et mit pied à quai. Il était grand pour
un Japonais, un mètre quatre-vingt. Une espèce de taureau aux mâchoires
épaisses qui portait ses soixante-sept ans avec vigueur. Son kimono militaire
était en soie marron, dépouillé et austère, à l’exception des cinq petits
emblèmes de Toranaga – trois tiges de bambou entrelacées. Il portait un
pectoral et des brassards d’acier poli. Seule, sa courte épée était fichée dans
la ceinture. Il tenait l’autre à la main, prêt à la sortir de son fourreau et à
tuer sur-le-champ pour protéger son suzerain.
Tous les villageois étaient en rangs sur le rivage, à
genoux, et la tête baissée. Les samouraïs étaient, eux aussi, en rangs
disciplinés. Yabu et ses lieutenants, au premier rang.
Si Yabu avait été une femme ou un homme plus faible, il se
serait certainement frappé la poitrine, aurait pleuré, se serait arraché les
cheveux. C’était vraiment une drôle de coïncidence, car si le célèbre Toda
Hiro-matsu était là, ça voulait dire que lui, Yabu, avait été trahi – soit à
Yedo par quelqu’un de sa maison, soit ici, à Anjiro, par Omi, ou l’un de ses
hommes, ou l’un des villageois.
Il venait d’être pris en flagrant délit de désobéissance.
Il s’agenouilla et s’inclina. Ses samouraïs l’imitèrent. Il maudit le bateau et tous ceux qui le dirigeaient.
Ah ! Yabu-sama », entendit-il dire Hiro-matsu. Il
le vit s’agenouiller sur la natte disposée à son intention et lui rendre son
salut. Mais la profondeur de ce salut était presque cavalière. Hiro-matsu, de
plus, n’attendit pas qu’il s’inclinât à nouveau . Yabu sut
ainsi, sans qu’on le lui dise, qu’il courait un grand danger. Il vit le général
s’asseoir sur ses talons. On l ’appelait « Main de
Fer », derrière son dos .
Pourquoi envoyer un général aussi important pour venir me
prendre la main dans le sac ?
« Vous me faites un grand honneur en rendant visite à
l’un de mes pauvres villages, Hiro-matsu-sama, dit-il.
— Mon maître m’a ordonné de venir ici, »
Hiro-matsu était réputé pour sa franchise. Il ne connaissait ni la ruse ni la finesse. Il avait seulement la confiance la plus absolue en
son seigneur et suzerain.
« Je suis honoré et très heureux, dit Yabu. Je suis
venu en hâte de Yedo à cause de ce bateau barbare.
— Sire Toranaga avait invité tous
ses daimyôs alliés à l’attendre à Yedo, jusqu’à son
retour d’Osaka.
— Comment se porte sire Toranaga ? J’espère qu’il
va bien.
— Plus vite, sire Toranaga est en sécurité dans son
château de Yedo, mieux c’est. Plus vite, le conflit avec Ishido est ouvert,
plus vite nous faisons marcher nos armées sur la forteresse d’Osaka, plus vite
nous la réduisons à l’état de cendres, mieux c’est. » Ses mâchoires
rougirent à mesure que son angoisse pour Toranaga grandissait. Il détestait
être loin de lui. « Je lui ai répété une bonne douzaine de fois qu’il était
fou d’aller se jeter dans la gueule
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