Shogun
de camp
personnel du daimyô. Il avait en permanence accès auprès de son seigneur
et pouvait porter les deux épées en sa présence. Yabu était charmé par Omi et
se sentait reposé, né à une nouvelle vie. Il avait merveilleusement dormi. Il
avait bu une petite tasse de thé et avait mangé frugalement.
C’était une expérience fabuleuse, pensa-t-il. Je ne m’étais
jamais senti aussi proche de la nature, des arbres, d es montagnes
et de la terre, en si étroite communion avec l’inestimable tristesse de la vie
et sa fugacité. Les hurlements avaient tout embelli.
« Omi-san, j’ai un rocher, dans mon jardin de Mishima.
J’aimerais que tu l’acceptes pour commémorer ce jour, cette merveilleuse nuit
et notre chance extraordinaire. Je te l’enverrai avec le reste. La pierre vient
de Kyushu. Je l’ai appelée “ la pierre d’attente” ,
car nous attendions l’ordre d’attaque du Taikô quand je l’ai trouvée. C’était il y a quinze ans de ça. Je faisais partie de son armée,
celle qui a soumis les rebelles et maîtrisé l’île.
— Vous me faites trop d’honneur.
— Pourquoi ne pas la mettre ici, dans ton jardin, et la
rebaptiser ? Pourquoi ne pas l’appeler “ la pierre de
la paix barbare”, pour commémorer cette nuit et les
efforts du pirate pour accéder à la paix éternelle ?
— Peut-être me permettrez-vous de l’appeler “ la pierre du bonheur” , pour me rappeler
ainsi qu’à mes descendants tous les honneurs que vous m’avez prodigués, mon
oncle ?
— Non. Il vaudrait mieux l’appeler simplement “le barbare en attente ”. Oui. J’aime bien
ça. Ça nous unit plus intimement tous les deux. Lui et moi. Il attendait.
J’attendais. Je vis. Il est mort. » Yabu regarda le jardin, pensif.
« Très bien. “L e barbare en attente ”. J ’aime
bien ça. Il y a de curieuses taches sur
un côté de la pierre. Elles me rappellent des larmes. Il y a aussi des veines
bleues mêlées à du quartz rougeâtre. Elles me rappellent la chair, la brièveté
de tout ça. » Yabu soupira. Il appréciait sa mélancolie au plus haut
point. Il ajouta : « C’est bon qu’un homme puisse installer une
pierre dans son jardin, qu’il puisse lui donner un nom. Il a fallu beaucoup de
temps au barbare pour mourir, neh ? Peut-être sera-t-il réincarné
dans un Japonais pour compenser toute sa souffrance ? Ne serait-ce
pas merveilleux ? Un jour, peut-être, ses descendants pourraient voir la
pierre et ils seraient fiers de lui. »
Omi remercia tant et plus, tout en protestant. Il ne
méritait pas tant de bonté. Yabu savait bien que sa bonté n’était pas
excessive. Il aurait pu offrir plus, mais il se souvenait du vieil adage :
Tu peux toujours augmenter un fief ; le réduire suscite les inimitiés. Et
la trahison.
« Oku-san, dit-il à la femme, lui donnant le titre de
Très Honorable Mère. Mon frère aurait dû me parler plus tôt des immenses
qualités de son fils cadet. Omi-san aurait eu, aujourd’hui, plus d’avancement.
Mon frère est beaucoup trop réservé, trop négligent.
— Mon mari vous respecte beaucoup trop pour venir vous déranger,
Seigneur, répondit-elle, consciente de la critique sous-jacente .
Je suis heureuse que mon fils ait eu une occasion de vous servir qu’il vous ait
satisfait… mon fils n’a fait que son devoir, neh ? C’est notre
devoir de servir. »
Un bruit de sabots se fit entendre. Les cavaliers montaient
la pente. Igurashi, l’aide de camp en titre de Yabu, traversa le jardin à
grandes enjambées. « Tout est prêt, Sire. Si vous voulez retourner à Yedo
rapidement, c’est maintenant que nous devons partir.
— Bien, Omi-san, vous accompagnerez, toi et tes hommes,
le convoi et vous veillerez à ce que tout arrive au château. » Yabu vit
une ombre passer sur le visage d’Omi. « Qu’y a-t-il ?
— Je pensais simplement aux barbares.
— Laisse quelques gardes pour les surveiller. Le convoi
est plus important qu’eux. Fais-en ce que tu veux. Remets-les dans le trou.
Fais-en ce que tu veux. Si tu arrives à les faire parler, envoie-moi un
message.
— Oui, Sire, répondit Omi. Je vais laisser dix
samouraïs et des instructions précises à Mura. Il n’arrivera rien d’ici cinq ou
six jours. Que voulez-vous que je fasse du bateau ?
— Garde-le, ici. En sécurité. Tu en as, bien sûr, l a responsabilité. Zukimoto a écrit à un marchand de Nagasaki
pour le vendre aux Portugais. Ils viendront le
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