Si c'est un homme
pendant tout l'été et l'automne, jusqu'à la crise définitive.
Le monstrueux travail de gestation collective qui animait la Buna s'arrêta brusquement, dégénérant aussitôt en un paroxysme d'activité désordonnée et frénétique. La date prévue, et désormais attendue d'un jour à l'autre, pour la mise en route de la production de
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caoutchouc synthétique fut repoussée à plusieurs reprises, et les Allemands finirent par ne plus en parler du tout.
On cessa de bâtir. On employa ailleurs la force de production de l'immense troupeau d'esclaves, qui se faisait de jour en jour plus lent à se mouvoir, plus passivement hostile à chaque attaque aénenne, il fallait réparer de nouveaux dégâts, démonter et déplacer les délicats mécanismes dont on avait laborieusement achevé la mise au point quelques jours plus tôt, ériger en toute hâte des abris et des refuges qui, à l'épreuve, s'avéraient dérisoirement précaires et inutiles.
Nous pensions que tout était préférable à la monotonie des jours identiques et sans fin, à la tristesse lugubre, systématique et réglementée, du travail à la Buna ; mais nous avons dû changer d'avis quand la Buna a commencé à tomber en morceaux autour de nous, comme frappée par une malédiction dans laquelle nous nous sentions englobés. Il nous a fallu suer dans la poussière et les décombres brûlants, et trembler comme des bêtes, plaqués au sol sous les bombardements qui faisaient rage. Et lorsque, le soir venu, par ces interminables soirées venteuses de l'été polonais, nous rentrions du travail, rompus de fatigue et brûlés par la soif, nous retrouvions le camp sens dessus dessous, pas une goutte d'eau pour boire et nous laver, pas de soupe pour nos estomacs vides, pas de lumière pour défendre notre pain de la faim du voisin, et pour retrouver, le matin, nos sabots et nos vêtements dans la bauge sombre et hurlante du Block.
A la Buna, les civils allemands se déchaînaient, en proie à la fureur de l'homme sûr de lui qui, s'éveillant d'un long rêve de domination, assiste à son écroulement et se refuse à comprendre. De même, chez les
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Reichsdeutsche du camp, « politiques » compris, chacun se sentit, à l'heure du danger, uni aux autres par les liens du sol et du sang. L'événement ramena l'enchevêtrement de haines et d'incompréhensions à ses termes élémentaires et rétablit une nette division entre les deux camps adverses : les politiques, tout comme les triangles verts et les SS, lisaient ou croyaient lire sur chacun de nos visages le sarcasme de la revanche et la joie cynique de la vengeance. Unis dans cette conviction, ils redoublèrent de férocité.
Aucun Allemand ne pouvait désormais oublier que nous étions de l'autre côté : du côté des terribles semeurs de mort qui, insoucieux des barrages, sillonnaient en maîtres le ciel allemand et réduisaient leur grosse machine de guerre à des morceaux de fer tordu, portant le massacre jusque dans leurs maisons, les maisons du peuple allemand que nul n'avait encore violées.
Quant à nous, nous étions trop anéantis pour avoir vraiment peur. Les quelques individus encore capables de sentir et de raisonner lucidement virent dans les bombardements une raison d'espérer et de reprendre courage ; ceux que la faim n'avait pas encore réduits à l'apathie définitive profitèrent souvent des moments de panique générale pour se lancer dans des expéditions doublement téméraires (d'abord à cause du risque direct que représentait l'attaque aérienne, ensuite parce que le vol commis en situation d'urgence était puni de pendaison) jusqu'aux cuisines de l'usine et aux entrepôts. Mais pour la plupart, nous supportâmes ce nouveau danger et ces nouvelles embûches avec la même indifférence, qui n'était pas de la résignation mais plutôt l'inertie obtuse des bêtes battues qui ne réagissent plus aux coups.
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L'accès aux refuges blindés nous était interdit.
Quand la terre commençait à trembler, nous nous traînions, assourdis et chancelants, au milieu des émanations corrosives des fumigènes, jusqu'aux vastes terrains vagues, sinistres et stériles, situés dans l'enceinte de la Buna ; et là, nous restions étendus sans bouger, entassés les uns sur les autres comme des cadavres, savourant malgré tout le bien-être momentané de nos corps en repos. Nous regardions d'un œil morne les colonnes de fumée et de feu qui s'élevaient
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