Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
Vom Netzwerk:
dans mes souliers et attendis.
    Le bruit semblait venir de loin, de la ville d'Auschwitz peut-être.
    Mais voilà qu'il y eut une explosion toute proche, et avant même que j'aie pu reprendre mes esprits, une seconde et une troisième à crever les tympans. Des vitres volèrent en éclats, la baraque trembla, ma cuillère, logée dans une fente de la cloison en bois, tomba par terre.
    – 199 –

    Puis tout sembla terminé Cagnolati — un jeune paysan vosgien lui aussi, et qui n'avait sans doute jamais vu d'attaque aérienne — avait jailli tout nu de son lit tapi dans un coin, il hurlait.
    Quelques minutes plus tard, il fut évident que le camp avait été touché. Deux baraques étaient en flammes, deux autres avaient été pulvérisées, mais c'étaient toutes des baraques vides. On vit arriver des dizaines de malades, nus et misérables, chassés par le feu qui menaçait leurs baraques ils demandaient à entrer Impossible de les accueillir. Ils insistèrent, suppliant et menaçant dans toutes les langues, il fallut barricader la porte. Ils continuèrent plus loin, éclairés par les flammes, pieds nus dans la neige en fusion. Plusieurs traînaient derrière eux leurs bandages défaits. Quant à notre baraque, elle semblait hors de danger, à moins que le vent ne tournât.
    Les Allemands avaient disparu. Les miradors étaient vides.
    Aujourd'hui je pense que le seul fait qu'un Auschwitz ait pu exister devrait interdire à quiconque, de nos jours, de prononcer le mot de Providence mais il est certain qu'alors le souvenir des secours bibliques intervenus dans les pires moments d'adversité passa comme un souffle dans tous les esprits.
    On ne pouvait pas dormir, un carreau était cassé, et il faisait très froid Je me disais qu'il nous fallait trouver un poêle, l'installer ici, et nous procurer du charbon, du bois et des vivres. Je savais que tout cela était indispensable, mais que je n'aurais jamais assez d'énergie pour m'en occuper tout seul. J'en parlai avec les deux Français.
    – 200 –

    19 janvier. Les Français furent d'accord. Nous nous levâmes tous trois à l'aube. Je me sentais malade et sans défense, j'avais froid et j'avais peur.

    Les autres malades nous regardèrent avec une curiosité pleine de respect : ne savions-nous donc pas que les malades n'ont pas le droit de sortir du K.B. ? Et si les Allemands n'étaient pas encore tous partis ? Mais ils ne dirent rien, trop contents qu'il y eût quelqu'un pour tenter l'expérience.
    Les Français n'avaient aucune idée de la topographie du Lager, mais Charles était courageux et robuste, et Arthur avait du flair et le sens pratique des paysans.
    Nous sortîmes dans le vent d'une glaciale journée de brouillard, enveloppés tant bien que mal dans des couvertures.
    Je n'ai jamais rien vu ou entendu qui puisse approcher du spectacle que nous eûmes alors sous les yeux.
    Le Lager venait de mourir, et il montrait déjà les signes de la décomposition. Plus d'eau ni d'électricité : des fenêtres et des portes éventrées battaient au vent, des morceaux de tôles arrachées aux toits grinçaient, et les cendres de l'incendie volaient au loin très haut dans les airs. Les bombes avaient fait leur œuvre, et les hommes aussi : loqueteux, chancelants, squelettiques, les malades encore capables de se déplacer avaient envahi comme une armée de vers le terrain durci par le gel. Ils avaient fouillé dans toutes les baraques vides, à la recherche de nourriture et de bois ; ils avaient violé avec une furie haineuse les chambres des Blockalteste grotesquement décorées et interdites la veille encore aux simples Häftlinge ; incapables de maîtriser leurs viscères, ils avaient répandu des excréments partout,
    – 201 –

    salissant la neige précieuse, devenue seule source d'eau pour le camp tout entier.
    Attirés par les décombres fumants des baraques incendiées, des groupes de malades restaient collés au sol, pour en pomper un dernier reste de chaleur.
    D'autres avaient trouvé des pommes de terre quelque part et les faisaient rôtir sur les braises de l'incendie en jetant autour d'eux des regards féroces. Quelques-uns seulement avaient eu la force d'allumer un vrai feu, et faisaient fondre de la neige dans des récipients de fortune.
    Nous nous dirigeâmes vers les cuisines le plus rapidement possible, mais les pommes de terre étaient déjà presque épuisées. Nous en remplîmes deux sacs que nous confiâmes à Arthur. Au milieu des ruines du

Weitere Kostenlose Bücher