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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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combattu héroïquement le nazisme. Dans les Etats autoritaires, on a le droit d'altérer la vente, de réécrire l'histoire rétrospectivement, de déformer les nouvelles, d'en supprimer de vraies, d'en ajouter de fausses, bref, de remplacer l'information par la propagande. Et, en effet, dans de tels pays, il n'y a plus de citoyens détenteurs de droits, mais bien des sujets qui, comme tels, se doivent de témoigner à l'Etat (et au dictateur qui l'incarne) une loyauté fanatique et une obéissance passive.
    Dans ces conditions il devient évidemment possible (même si ce n'est pas toujours facile il n'est jamais aise de faire totalement violence à la nature humaine) d'occulter des pans entiers de la réalité. L’Italie fasciste n'a pas eu grand mal à faire assassiner Matteotti et à étouffer l'affaire en quelques mois, quant à Hitler et à son ministre de la Propagande Josef Goebbels, ils se révélèrent bien supérieurs encore à Mussolini dans l’art de contrôler et de camoufler la vérité.
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    Toutefois, il n était ni possible ni même souhaitable
    — du point de vue nazi — de cacher au peuple allemand l'existence d'un appareil aussi énorme que celui des camps de concentration. Il entrait précisément dans les vues des nazis de créer et d'entretenir dans le pays un climat de terreur diffuse il était bon que la population sut qu'il était très dangereux de s opposer à Hitler. Et en effet des centaines de milliers d'Allemands —communistes, sociaux-démocrates, libéraux, juifs, protestants, catholiques — furent enfermes dans les Lager des les premiers mois du nazisme, et tout le pays le savait, comme on savait aussi qu'au Lager les prisonniers souffraient et mouraient
    Cela étant, il est vrai que la grande majorité des Allemands ignora toujours les détails les plus horribles de ce qui se passa plus tard dans les Lager l'extermination méthodique et industrialisée de millions d'êtres humains, les chambres à gaz, les fours crématoires, l'exploitation abjecte des cadavres, tout cela devait rester cache et le resta effectivement pendant toute la durée de la guerre, sauf pour un nombre restreint d'individus. Pour garder le secret, entre autres précautions, on recourait dans le langage officiel a de prudents et cyniques euphémismes au heu d' «
    extermination » on écrivait « solution définitive », au lieu de « déportation » « transfert », au heu de « mort par gaz » « traitement spécial » et ainsi de suite Hitler redoutait non sans raison que la révélation de ces horreurs n’ébranlât la confiance aveugle que le pays avait en lui, et le moral des troupes alors en guerre, de plus, les Alliés n'auraient pas tardé à en être eux aussi informés et à en tirer parti pour leur propagande, ce qui d'ailleurs ne manqua pas de se produire. Mais à cause de leur énormité même, les horreurs du Lager, maintes fois
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    dénoncées par les radios alliées, se heurtèrent le plus souvent à l'incrédulité générale.
    A mon sens, l'aperçu le plus convaincant de la situation des Allemands à cette époque-là se trouve dans Etat 55 , ouvrage d'Eugen Kogon, ancien déporté à Buchenwald et professeur de Sciences Politiques à l'université de Munich.
    « Que savaient donc les Allemands au sujet des camps de concentration ? Mis à part leur existence concrète, presque rien, et aujourd'hui encore ils n'en savent pas grand-chose Incontestablement, la méthode qui consistait à garder rigoureusement secrets les détails du terrible système de terreur — créant ainsi une angoisse indéterminée, et donc d'autant plus profonde —s'est révélée efficace. Comme je l'ai déjà dit, même à l'intérieur de la Gestapo, de nombreux fonctionnaires ignoraient ce qui se passait à l'intérieur des Lager, même s'ils y envoyaient leurs propres prisonniers. La plupart des prisonniers eux-mêmes n'avaient qu'une très vague idée du fonctionnement de leur camp et des méthodes qu'on y pratiquait. Comment, dans ces conditions, le peuple allemand aurait-il pu les connaître ? Ceux qui entraient au Lager se trouvaient plongés dans un univers abyssal totalement nouveau pour eux c'est là la meilleure preuve du pouvoir et de l'efficacité du secret.
    « Et pourtant, et pourtant il n'y avait pas un seul Allemand qui ne connût l'existence des camps de concentration ou qui crût que c'étaient des sanatoriums.
    Rares étaient ceux qui n'avaient pas un parent ou une

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