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Si c'est un homme

Si c'est un homme

Titel: Si c'est un homme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Primo Levi
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peut dire que les luttes sont rarement menées par le sous-prolétariat. Les « loques » ne se révoltent pas. Dans les camps de prisonniers politiques ou dans ceux où les prisonniers politiques étaient les plus nombreux, l'expérience acquise de la lutte clandestine fut précieuse et aboutit souvent, plus qu'à des révoltes
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    ouvertes, à des activités d'autodéfense assez efficaces.
    Selon le Lager et l'époque, on réussit ainsi à faire pression sur les SS ou à les corrompre de manière à limiter l'effet de leur pouvoir indiscriminé, on parvint à saboter le travail destiné aux industries de guerre allemandes, à organiser des évasions, à communiquer par radio avec les Alliés en leur fournissant des informations sur les terribles conditions de vie des camps, à améliorer le traitement des malades en faisant mettre des médecins prisonniers à la place des médecins SS, à « orienter » les sélections en envoyant à la mort les mouchards ou les traîtres et en sauvant les prisonniers dont la survie, pour une raison quelconque, avait une importance particulière, à se préparer à la résistance armée au cas ou, sous la pression du front ennemi, les Allemands auraient décidé (comme cela se produisit souvent) de procéder à la liquidation générale des Lager.
    Dans les camps à prédominance juive, comme ceux d'Auschwitz, il était particulièrement difficile d'envisager une défense quelconque, active ou passive. Les prisonniers, en effet, n'avaient généralement aucune expérience de militant ou de soldat, ils provenaient de tous les pays d'Europe, parlaient des langues différentes et ne se comprenaient pas entre eux, et surtout, ils étaient plus affamés, plus faibles et plus épuisés que les autres, d'abord parce que leurs conditions de vie étaient plus dures, et ensuite parce qu'ils avaient souvent derrière eux tout un passe de faim, de persécutions et d'humiliations subies dans les ghettos dont ils arrivaient.
    Avec, pour ultime conséquence, cette particularité que leur séjour au Lager était tragiquement court : ils constituaient en somme une population fluctuante, sans cesse décimée par la mort et constamment renouvelée par l'arrivée de convois successifs. Il n'est pas surprenant
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    que le germe de la révolte ait eu du mal à s'enraciner dans un tissu humain aussi détériore et aussi instable.
    On peut se demander pourquoi les prisonniers ne se révoltaient pas dès la descente du tram, pendant ces longues heures (et parfois ces longs jours) d'attente qui précédaient leur entrée dans les chambres à gaz. Il faut préciser à ce propos, outre ce qui a déjà été dit, que les Allemands avaient mis au point pour cette entreprise de mort collective une technique d'une ingéniosité et d'une souplesse diaboliques. La plupart du temps, les nouveaux venus ne savaient pas ce qui les attendait. On les accueillait avec une froide efficacité, mais sans brutalité, puis on les invitait à se déshabiller « pour la douche ». Parfois on leur donnait une serviette de toilette et du savon, et on leur promettait un café chaud après le bain. Les chambres à gaz étaient en effet camouflées en salles de douches, avec tuyauteries, robinets, vestiaires, portemanteaux, bancs, etc.
    Lorsqu'en revanche ils croyaient remarquer que les détenus savaient ou soupçonnaient ce qu'on allait faire d'eux, les SS et leur aides agissaient alors par surprise ils intervenaient avec la plus grande brutalité, à grand renfort de hurlements, de menaces et de coups, n'hésitant pas à tirer des coups de feu et à lancer contre des êtres effarés et désespérés, éprouvés par cinq ou six jours de voyage dans des wagons plombés, leurs chiens dressés à la tuerie.
    Dans ces conditions, l'affirmation qu'on a parfois formulée, selon laquelle les juifs ne se seraient pas révoltés par couardise, est aussi absurde qu'insultante.
    La réalité, c'est que personne ne se révoltait : il suffit de rappeler que les chambres à gaz d'Auschwitz furent testées sur un groupe de trois cents prisonniers de guerre
    russes,
    jeunes,
    militairement
    entraînés,
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    politiquement préparés, et qui n'étaient pas retenus par la présence de femmes et d'enfants, et eux non plus ne se révoltèrent pas.
    Je
    voudrais
    enfin
    ajouter
    une
    dernière
    considération. La conscience profonde que l'oppression ne doit pas être tolérée, mais qu'il faut y résister n'était pas

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