Si c'est un homme
connaissance dans un Lager, ou qui du moins n'avaient pas entendu dire que telle ou telle personne y avait été internée. Tous les Allemands avaient été témoins de la barbarie antisémite, sous quelque forme qu'elle se fût manifestée des millions d'entre eux avaient assiste avec
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indifférence, curiosité ou indignation, ou même avec une joie maligne, à l'incendie des synagogues, ou à l'humiliation de juifs et de juives contraints de s'agenouiller dans la boue des rues. De nombreux Allemands avaient eu vent de ce qui se passait par les radios étrangères, et beaucoup étaient en contact avec des prisonniers qui travaillaient à l'extérieur des camps.
Rares étaient ceux qui n'avaient pas rencontré, dans les rues ou dans les gares, quelque misérable troupe de détenus dans une circulaire en date du 9 novembre 1941
adressée par le chef de la Police et des Services de la Sûreté à tous les bureaux de Police et aux commandants des Lager, on lit ceci : " Il a été notamment constaté que durant les transferts à pied, par exemple de la gare au camp, un nombre non négligeable de prisonniers tombent morts en cours de route ou s'évanouissent d'épuisement. Il est impossible d'empêcher la population de connaître de tels faits" Pas un Allemand ne pouvait ignorer que les prisons étaient archipleines et que les exécutions capitales allaient bon train dans tout le pays.
Des milliers de magistrats, de fonctionnaires de police, d'avocats, de prêtres, d'assistants sociaux savaient d'une manière générale que la situation était extrêmement grave. Nombreux étaient les hommes d'affaires qui étaient en relations commerciales avec les SS des Lager, et les industriels qui présentaient des demandes à l'administration SS pour embaucher des travailleurs-esclaves ; de même, les employés des bureaux d'embauché étaient au courant du fait que beaucoup de grandes sociétés exploitaient une main-d'œuvre esclave.
Quantité de travailleurs exerçaient leur activité à proximité des camps ou même à l'intérieur de ceux-ci. Il y avait des professeurs universitaires qui collaboraient avec les centres de recherche médicale créés par
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Himmler, et des médecins d'État ou d'instituts privés qui collaboraient, eux, avec des assassins professionnels. Les membres de l'aviation militaire qui avaient été mis sous les ordres des SS étaient nécessairement au courant de ce qui se passait dans les camps. Beaucoup d'officiers supérieurs de l'armée connaissaient les massacres en masse de prisonniers russes perpètres dans les Lager, et de très nombreux soldats et membres de la police militaire devaient avoir une connaissance précise des épouvantables horreurs commises dans les camps, dans les ghettos, dans les villes et dans les campagnes des territoires occupés à l'Est. Une seule de ces affirmations est-elle fausse ? »
A mon avis, aucune de ces affirmations n'est fausse, mais il faut en ajouter une autre pour compléter le tableau si, en dépit des différentes sources d'information dont ils disposaient, la majorité des Allemands ne savait pas ce qui se passait, c'est parce qu'ils ne voulaient pas savoir, ou plutôt parce qu'ils voulaient ne rien savoir. Il est vrai sans aucun doute que le terrorisme d'Etat est une arme très puissante, à laquelle il est bien difficile de résister, mais il est également vrai que le peuple allemand, dans son ensemble, n'a pas même tenté de résister. Dans l'Allemagne hitlérienne, les règles du savoir-vivre étaient d'un genre tout particulier : ceux qui savaient ne parlaient pas, ceux qui ne savaient pas ne posaient pas de questions, ceux qui posaient des questions n'obtenaient pas de réponse. C'était de cette façon que le citoyen allemand type conquérait et défendait son ignorance, ignorance qui lui apparaissait comme une justification suffisante de son adhésion au nazisme en se fermant la bouche et les yeux, en se bouchant les oreilles, il cultivait l'illusion qu'il ne savait
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rien, et qu'il n'était donc pas complice de ce qui se passait devant sa porte.
Savoir, et faire savoir autour de soi était pourtant un moyen — pas si dangereux, au fond — de prendre ses distances vis-à-vis du nazisme, je pense que le peuple allemand, dans son ensemble, n'y a pas eu recours, et je le considère pleinement coupable de cette omission délibérée.
Y avait-il des prisonniers qui s'évadaient des Lager? Comment se
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