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S'il est minuit dans le siècle

S'il est minuit dans le siècle

Titel: S'il est minuit dans le siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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réclamations à présenter ?
    – Si fait. Un tas, que vous avez dû recevoir par écrit.
Votre boîte n’est nullement à la hauteur du socialisme, citoyen chef. À
commencer par les punaises…
    – Je sais. Croyez-vous que nous soyons, vous et moi à
la hauteur du socialisme ?
    – Moi, oui. Vous, non. Je doute que vous soyez d’un
degré au-dessus de la police d’Empire…
    Kneppe lui jeta un coup d’œil vague. Les répliques de cet
homme de l’An Dix-Huit tiré d’une cellule de l’An Trente-Quatre lui rappelaient
d’une façon saugrenue, sa jeunesse, les petites Tchékas ambulantes, les jours
et les nuits de danger, un enthousiasme sûr de lui-même, sûr de tenir le monde
– et depuis si longtemps effacé de l’âme…
    – Drôle d’être, fit-il, entre ses dents avec lassitude.
Bon. Au revoir.
    – N’est-ce pas que c’est ennuyeux, toutes ces
formalités inutiles, camarade Kneppe ? dit encore Elkine avec la
condescendance la plus blessante qu’il se pût donner.
    L’arrestation de Rodion n’apporta rien de neuf : on
savait bien qu’il viendrait lui-même se faire enfermer, car l’opposition est
disciplinée, on les tient, tous les uns par les autres… Il vint en effet. Reçu
par le : « Qu’est-ce qu’il vous faut ? » très sec du
Malingre, le gars dit :
    – Je viens vous demander des nouvelles de mes camarades.
    – Mais ils vont très bien. Chez nous, tout le monde se
porte très bien, répondit le Malingre, qui après tout, le croyait peut-être. Vous
allez du reste vous en convaincre…
    Il conduisit Rodion à l’isolement, dans une cave où la
pierre noire était nue ; un crépuscule perpétuel y tombait par le
soupirail grillé. Au-dessus, dehors, cheminait un factionnaire ; un faible
bruit de pas signalait des passants dont l’ombre sans lignes remplissait une
seconde la grisaille.
    – Vous voyez, citoyen, dit le Malingre, vous avez de l’air.
    Quand il eut perdu dix jours, Fédossenko fut près de
perdre la tête. Kostrov même résistait, en dépit de ses déclarations de
loyalisme, en dépit de sa maladie de cœur, du manque de nouvelles de sa femme
et de sa fille, en dépit d’une cellule infecte où on le laissait en tête à tête
avec un misérable qui s’éteignait sur ses déjections. Il vieillissait à vue d’œil,
hirsute, la face bouffie, l’œil droit tourmenté par un orgelet, le teint bilieux.
Il passait ses journées vautré sur la paille, le plus loin possible de l’autre,
remuant le moins possible pour ménager ses forces défaillantes. Fédossenko le
fit amener une dernière fois dans son cabinet. – Cette fois, je le
briserai, ou l’affaire est fichue et mon avancement aussi.
    – Asseyez-vous, Kostrov. Ah, vous avez mauvaise mine. J’en
suis fâché pour vous. Si je vous traite durement, c’est que j’ai des ordres. Quand
la République traverse une telle crise, ce n’est pas le moment de ménager des
gens à double face. Les ennemis déclarés, nous les traitons mieux ; ils
méritent une certaine estime, et puis avec eux, on est fixé. Ils n’en sortiront
peut-être jamais, on peut bien leur donner la seule cellule aérée, n’est-ce pas ?
Kostrov, je vous fais un dernier appel, dans votre intérêt. Entendez-moi bien :
la chance que je vous offre est la dernière. Déclarez-moi : je suis
trotskyste, – et refusez de répondre. Vous serez tout de suite mieux traité, je
clos l’instruction, je vous envoie demain le médecin. Cet aveu-là me suffit de
votre part. Vous serez naturellement traité avec une rigueur accrue pour nous
avoir si longtemps trompés. Mais la prison ne vous fait pas peur, je le sais.
    (C’eût été pour Fédossenko le blanc-seing idéal ; l’avantage
inespéré de démasquer un opposant masqué depuis des années, bref un coup de
maître…)
    – Vous hochez la tête ? Vous refusez ? Alors,
je veux essayer de vous croire. Je vous parle comme à un camarade de parti :
je suis à mon poste, un bolchevik comme vous. On vous a torturé en Roumanie ?
On m’a poignardé en Transcaspie. Nous survivons pour la même cause. Vous et moi,
c’est pour la patrie socialiste que nous sommes ici. – Mais fumez donc. Prenez
toute la boîte, vous l’emporterez… Je vous donnerai tout à l’heure de bonnes
nouvelles de votre femme et de votre enfant. Avant de vous interroger, c’est
moi qui vais vous apprendre certaines choses secrètes…
    Kostrov émergeait de l’anéantissement. Si on lui

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