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S'il est minuit dans le siècle

S'il est minuit dans le siècle

Titel: S'il est minuit dans le siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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pire,
l’irréparable c’était qu’on le saurait… Il
scella l’enveloppe contenant les deux plaintes. « Transmis à la C.C.C. du
parti sans en avoir pris connaissance, conformément à la circulaire du… »
Eh, qui le croirait ? Les détenus remettaient leurs messages ouverts.
    Fédossenko, fit aménager pour Ryjik une cellule convenable, avec
table, chaise, lit, deux volumes dépareillés des œuvres de Lénine… « Attends
un peu, que je reçoive seulement l’ombre d’une indication à ton sujet et tu
verras si tes titres m’en imposent, je t’en ferai tâter de la paille, de la
pierre noire, de la soupe au poisson salé… » Par une suprême habileté dans
la scélératesse, Ryjik le compromettait, lui, inébranlablement fidèle à la ligne
générale, pur de toute pensée, dévoué à mort au Chef, – à « Koba, l’organisateur
de la famine, fourrier du fascisme en Allemagne… » – Fédossenko, tout bas,
jura ignoblement de voir dans son esprit l’épithète exécrable se coller toute
seule à la haute image de…
    Le camarade Knapp, chef de la région, son supérieur, entra
familièrement sans frapper.
    – Eh bien, cette difficile affaire ? Nous avons si
peu de temps, Aléxéi Aléxéitch…
    Voûté, la poitrine plate, Knapp portait sur des épaules de
vieux tuberculeux, au sommet d’un cou fripé d’échassier, une petite tête ridée
où les verres mêmes de ses lorgnons luisaient en gris… Il se montrait peu, laissant
faire ses subordonnés, absorbé lui-même par la rédaction des rapports au Centre
qu’il écrivait dans sa langue particulière d’ancien prisonnier allemand. Cette
fois, il fut amical, parla de choses et d’autres.
    – Quand vous aurez fini, Aléxéi Aléxéitch, nous ferons
ensemble une bonne partie de chasse… heu… heu…
    Fédossenko sentit sa chance se préciser. Knapp ne lui fit qu’une
recommandation, mais pour la faire prit sa voix de service, indifférente, accordée
aux reflets gris de ses lorgnons :
    – Naturellement, la procédure doit être prompte, efficace
et tout à fait régulière…
    Knapp se retira d’un pas léger. Il perdait jusqu’au souvenir
du petit commis aux écritures de l’hôtel de ville de Nuremberg, Gottfried
Knapp, membre du parti ouvrier social-démocrate, qui faisait en 1910 des
économies pour s’acheter un mobilier Tietz, avant les mobilisations, les
bombardements, les dévastations, les réquisitions, les épidémies, les
révolutions, les répressions, la Volga, l’Oural, Tachkent – l’An Mil en un mot.
Il exigeait de ses subordonnés un zèle très apparent, pour qu’on le remarquât. À
quoi sert, en effet, le zèle qui n’est point remarqué ? Et la vie est si
fatigante : économisons nos peines. Il n’embêtait personne, relégué
lui-même dans de petits postes nordiques en raison d’une sympathie
déraisonnable pour Clara Zetkin, liée à la droite allemande, Brandler, Talheimer,
traités dans l’internationale en éléments douteux, puis exclus. De temps à
autre, Knapp allait à la chasse. La Ford le déposait en bordure d’un fourré où
il entrait résolument, précédé de son chien. Deux ordonnances l’attendaient au
milieu du silence vivant des bois. Knapp marchait une demi-heure, à grandes
foulées, s’éloignant peu de la ligne droite. Il s’enfonçait dans le silence, contemplait
une haute fourmilière, souriait de toutes ses dents jaunes au chien qui
revenait lui annoncer, par des frétillements, la proximité d’un terrier.
« Pas encore ici, mon ami, pas encore. » La bête le regardait
amicalement comme personne d’autre au monde. Knapp se mettait à siffler entre
ses dents, de plus en plus fort, jusqu’à remplir la futaie d’une modulation
continue, enchantée… Si une balle précise l’avait tué, à l’un de ces moments-là,
il serait mort bien au-dessus, bien au-delà de lui-même.
    Knapp voulut interroger Elkine dont Fédossenko n’avait tiré
que deux ou trois plaisanteries vexantes.
    – Nous sommes entre anciens du parti, camarade Elkine…
    – Vraiment, camarade Kneppe…
    – Pardon, Knapp…
    – Non, Kneppe, je vous en prie, estimé camarade, je ne
saurais prononcer Knapp : car j’ai connu un chien couchant qui portait ce
nom-là…
    Elkine respirait l’insolence. Kneppe hocha la tête en grimaçant.
« Espèce de rat crevé », pensait Elkine, l’air joyeux.
    – Avez-vous des déclarations à faire ?
    – Non.
    – Des

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