Sir Nigel
du peuple, la
richesse prospère de l’Église, le luxe croissant de la vie et des
manières, le ton plus doux de l’époque, elle détestait tout cela,
si bien que tout le pays connaissait la crainte qu’inspiraient son
fier visage et même le bâton de chêne avec lequel elle soutenait
ses membres faiblissants.
Cependant, si elle était redoutée, elle était
aussi respectée car, à une époque où les livres étaient rares et
plus encore ceux qui savaient les lire, une bonne mémoire et une
langue toujours prête à la repartie étaient de grosses valeurs.
Mais où donc les jeunes seigneurs illettrés du Surrey et du
Hampshire auraient-ils pu entendre parler de leurs aïeux et de
leurs combats, où auraient-ils pu apprendre la science de
l’héraldique et de la chevalerie qu’elle tenait d’une époque plus
rude et plus martiale, sinon auprès de Dame Ermyntrude ? Bien
qu’elle fût pauvre, il n’était personne dans tout le Surrey dont on
recherchât davantage le conseil sur les questions de préséance et
de savoir-vivre que Dame Ermyntrude.
Ce soir-là donc, elle était assise, le dos
courbé près de l’âtre éteint. Elle regardait Nigel et les traits
durs de son vieux visage ridé étaient adoucis par l’amour et
l’orgueil. Le jeune homme s’occupait à tailler des carreaux
d’arbalète et sifflotait doucement tout en travaillant. Mais il
leva soudain la tête et aperçut les yeux sombres fixés sur lui. Il
se pencha et caressa la vieille main parcheminée.
– Qu’est-ce donc qui vous amuse, bonne
Dame ? Je vois du plaisir dans vos yeux.
– J’ai appris aujourd’hui, Nigel, comment
vous aviez conquis ce grand cheval qui piaffe dans notre
écurie.
– Que non, bonne Dame. Ne vous avais-je
point dit qu’il m’avait été donné par les moines ?
– C’est en effet ce que vous m’aviez dit,
mon enfant, mais sans plus ; et cependant le destrier que vous
avez ramené ici est bien différent, je gage, de celui qui vous fut
donné. Pourquoi ne m’avez-vous point conté cela ?
– J’aurais trouvé honteux de parler de
telles choses.
– Tout comme votre père avant vous et
comme son père avant lui ! Il restait assis en silence au
milieu des chevaliers alors que le vin circulait à la ronde. Il
écoutait les hauts faits des autres et, lorsque par hasard l’un
d’eux élevait le verbe et semblait vouloir revendiquer les
honneurs, votre père alors l’allait tirer délicatement par la
manche et lui demandait à l’oreille s’il était un quelconque petit
vœu dont il pût le relever ou encore s’il désirait se livrer à
quelque fait d’armes à ses dépens. Si l’homme n’était qu’un
fanfaron, il ne disait plus rien. Votre père gardait le silence et
personne, jamais, n’en savait rien. Mais lorsque l’autre acceptait
et se comportait vaillamment, votre père clamait partout sa
renommée sans jamais faire mention de lui-même.
Nigel, les yeux brillants, regarda la vieille
dame.
– J’aime à vous entendre parler de lui.
Contez-moi une fois encore la façon dont il est mort.
– Comme il avait vécu : en
gentilhomme. C’était dans ce combat naval, sur la côte de
Normandie ; votre père commandait l’arrière-garde sur
l’embarcation du roi lui-même. Or l’année précédente, les Français
s’étaient emparés d’un grand bateau anglais lorsqu’ils étaient
venus dans notre pays et avaient incendié la ville de Southampton.
Ce bateau était le
Christopher
, qu’ils avaient placé au
premier rang de la bataille. Mais les Anglais s’en étaient
rapprochés, l’avaient attaqué de flanc et avaient tué tous ceux qui
s’y trouvaient.
» Votre père et Sir Lorredan de Gênes,
commandant du
Christopher
, se battirent sur le château
arrière ; toute la flotte s’était arrêtée pour les regarder et
le roi pleura car Sir Lorredan était un adroit homme d’armes qui
s’était conduit vaillamment ce jour-là. Nombreux étaient les
chevaliers qui enviaient votre père de ce qu’un tel adversaire lui
fût échu. Mais votre père le força à reculer et lui porta à la tête
un si violent coup de sa masse que le casque tourna et qu’il ne put
plus voir par les œillères. Sir Lorredan alors jeta son glaive et
se rendit, mais votre père le saisit par le casque qu’il redressa
jusqu’à ce qu’il l’eût remis droit sur la tête de son adversaire.
Lorsque ce dernier put voir de nouveau, votre père l’invita à se
reposer, après quoi
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