Sir Nigel
encore éparpillés sur
nos collines. Les nouvelles demeures étaient soit des maisons de
campagne, au mieux capables de se défendre mais avant tout
résidentielles, soit des manoirs sans aucune signification
militaire.
Tel était celui de Tilford, où les derniers
survivants de la vieille et grande maison des Loring luttaient avec
ardeur pour conserver un certain rang et empêcher les moines et les
gens de loi de leur arracher les quelques acres de terre qui leur
restaient. Le bâtiment avait un étage, avec de lourds encadrements
de bois dont les intervalles étaient remplis de grosses pierres
noires. Un escalier extérieur menait à quelques chambres du haut.
Le rez-de-chaussée ne comportait que deux pièces dont la plus
petite servait de boudoir à la vieille Lady Ermyntrude. L’autre
formait la grande salle qui faisait office de pièce commune pour la
famille et de salle à manger pour les maîtres et leur petit groupe
de serviteurs. Les chambres des domestiques, les cuisines, l’office
et les étables se trouvaient dans une rangée d’appentis derrière le
bâtiment principal. C’était là que vivaient Charles le page, Peter
le vieux fauconnier, Red Swire qui avait suivi le grand-père de
Nigel dans les guerres d’Écosse, Weathercote le ménestrel déchu,
John le cuisinier et d’autres survivants des jours prospères qui
s’accrochaient à la vieille maison comme des bernacles aux débris
d’un bateau échoué.
Un soir, une semaine environ après l’aventure
du cheval jaune, Nigel et sa grand-mère étaient assis de part et
d’autre d’un âtre vide dans la grande salle. On avait desservi le
dîner et ôté les tables à tréteaux du repas, si bien que la pièce
paraissait vide et nue. Le sol de pierre était couvert d’une
épaisse natte de joncs verts qui était enlevée chaque samedi,
emportant avec elle la saleté et tous les débris de la semaine.
Deux chiens étaient étendus parmi les joncs, rongeant et croquant
les os qui leur avaient été jetés de la table. Un long buffet de
bois chargé de plats et d’assiettes remplissait un des bouts de la
pièce, mais il n’y avait pas d’autres meubles, si ce n’étaient
quelques bancs contre les murs, deux bergères, une petite table
jonchée de pièces d’un jeu d’échecs et un grand coffre de fer. Dans
un coin se dressait un pied de vannerie sur lequel étaient perchés
deux majestueux faucons, silencieux et immobiles, clignant
seulement de temps à autre leurs yeux jaunes.
L’actuel aménagement de la pièce aurait pu
paraître misérable à quiconque avait connu une époque de plus grand
luxe ; néanmoins le visiteur aurait été surpris, en levant les
yeux, de voir la multitude des objets accrochés aux murs, au-dessus
de sa tête. Surmontant l’âtre, se trouvaient les armes d’un certain
nombre de branches collatérales ou d’alliés par mariage aux Loring.
Les deux torches qui flamboyaient de chaque côté éclairaient le
lion d’azur des Percy, les oiseaux de gueules des Valence, la croix
engrêlée de sable des Mohun, l’étoile d’argent des Vere et les
barres de pourpre des Fitz-Alan, le tout groupé autour des fameuses
roses de gueules sur champ d’argent que les Loring avaient menées à
la gloire dans plus d’un combat sanglant. Ensuite, la pièce était
surmontée de grosses solives de chêne qui allaient d’un mur à
l’autre et auxquelles de nombreux objets étaient suspendus. Il y
avait des cottes de mailles d’un modèle désuet, des boucliers dont
un ou deux étaient rouillés, des heaumes défoncés, des arcs, des
lances, des épieux, des harnais et autres armes de guerre ou de
chasse. Plus haut encore dans l’ombre noire, on pouvait voir des
rangées de jambons, des flèches de lard, des oies salées et autres
morceaux de viande conservée qui jouaient un grand rôle dans la
tenue d’une maison au Moyen Âge.
Dame Ermyntrude Loring, fille, femme et mère
de guerrier, était elle-même une noble figure. Elle était grande et
maigre, avec les traits durs et d’orgueilleux yeux noirs. Mais ses
cheveux d’un blanc de neige et son dos courbé n’effaçaient pas
entièrement la sensation de crainte qu’elle faisait naître autour
d’elle. Ses pensées et ses souvenirs remontaient en des temps plus
rudes et elle considérait l’Angleterre autour d’elle comme un pays
dégénéré et efféminé qui avait oublié les bonnes vieilles règles de
la courtoisie chevaleresque.
La puissance grandissante
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