Sir Nigel
et leurs gens de loi. Aujourd’hui même est
venu un homme de Guildford avec des revendications de l’abbaye pour
des affaires remontant loin avant la mort de mon père.
– Et où sont ces
revendications ?
– Elles voltigent dans les ajoncs de
Hankley, car j’ai envoyé ces papiers parchemins aux quatre vents et
ils se sont envolés aussi vite que le faucon.
– Vous avez été sot d’agir de la sorte.
Et l’homme, où est-il ?
– Red Swire et le vieux George, l’archer,
l’ont balancé dans la fondrière de Thursley.
– Hélas ! Je crains bien que de
telles choses ne soient plus permises de nos jours, bien que mon
père ou mon époux eussent renvoyé le faquin à Guildford sans ses
oreilles. Mais l’Église et la loi sont trop puissantes actuellement
pour nous qui sommes de sang noble. Cela nous attirera des ennuis,
Nigel, car l’abbé de Waverley n’est pas homme à retirer la
protection du bouclier de l’Église à ceux qui sont ses fidèles
serviteurs.
– L’abbé ne nous fera point de mal. C’est
ce vieux loup grisonnant de procureur qui en veut à nos terres.
Mais laissez-le faire, car je ne le crains point.
– Il dispose d’une arme si puissante,
Nigel, que même les plus braves doivent la redouter : la
possibilité de mettre un homme au ban de l’Église en
l’excommuniant. Et nous, qu’avons-nous à lui opposer ? Je vous
implore de vous adresser à lui avec courtoisie, Nigel.
– Que non, chère Dame ! Mon devoir
et mon plaisir tout ensemble ne demanderaient qu’à faire ainsi que
vous me le demandez, mais je mourrais plutôt que de quémander comme
une faveur ce que nous avons le droit d’exiger. Je ne puis porter
les yeux sur cette fenêtre sans voir là-bas les champs ondoyants et
les riches pâtures, les clairières et les vallons qui furent nôtres
depuis que le Normand Guillaume les donna au Loring qui porta son
bouclier à Senlac. Et maintenant, par ruse et par fraude, ils nous
ont été enlevés, et plus d’un affranchi est plus riche que moi.
Mais il ne sera point dit que j’aurai sauvé le reste en courbant le
front sous le joug. Laissez-les donc faire tout leur mal, et
laissez-moi le supporter et le combattre du mieux qu’il me sera
possible.
La vieille dame soupira et secoua la tête.
– Vous parlez en vrai Loring ;
cependant je redoute de graves ennuis… Mais laissons cela, puisque
aussi bien nous n’y pouvons rien changer. Où donc se trouve votre
luth, Nigel ? Ne voulez-vous point en jouer et chanter pour
moi ?
Un gentilhomme à cette époque pouvait à peine
lire et écrire, mais il parlait deux langues, jouait au moins d’un
instrument de musique comme passe-temps et connaissait la science
de l’insertion de nouvelles plumes dans les ailes brisées d’un
faucon, les mystères de la vénerie, la nature de chaque bête et de
chaque oiseau, l’époque de leurs amours et de leurs migrations.
Quant aux exercices physiques, tels que monter un cheval à cru,
frapper d’un carreau d’arbalète un lièvre courant et escalader
l’angle d’une cour de château, c’étaient là des jeux qu’avait tout
naturellement appris le jeune seigneur. Mais il en avait été
autrement de la musique, qui avait exigé de lui de longues heures
d’un fastidieux travail. Enfin, il était parvenu à dominer les
cordes, mais son oreille et sa voix n’étaient point des meilleures.
Peut-être fut-ce pour cette raison qu’il n’eut qu’une audience
restreinte pour écouter la ballade franco-normande qu’il chanta
d’une voix flûtée et avec le plus grand sérieux, mais aussi avec
plus d’une faute et d’un chevrotement, tout en balançant la tête en
mesure avec la musique.
Une épée ! Une épée ! Qu’on me donne une
épée !
Car le monde est à conquérir.
Si dur soit le chemin et la porte cloîtrée,
L’homme fort entre sans coup férir.
Et quand le destin tiendrait encore la porte
Qu’on m’en donne la clé de fer,
Sur la tour flottera le cimier que je porte
Ou je serai dans les enfers.
Un cheval ! Un cheval ! Qu’on me donne un
cheval,
Qui me servira de monture
Pour m’en aller combattre en seigneur très loyal
Sans jamais craindre les blessures.
Écarte donc de moi les jours d’oisiveté,
Baignés d’une lumière grise.
Montre-moi le chemin des pleurs dont l’âpreté
Mène aux plus folles entreprises.
Un cœur ! Un cœur aussi ! Qu’on me dorme un
cœur !
Pour faire face aux circonstances,
Un cœur
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