Sir Nigel
Clermont sur la gauche, et celles d’Andreghien sur
la droite ? Ainsi donc, les deux maréchaux marchent avec
l’avant-garde…
– Pardieu, John, s’écria le prince, on
jurerait que vous en voyez plus avec un œil que n’importe quel
autre homme de cette armée avec deux ! Car il en est bien
ainsi que vous le dites. Mais cet autre groupe plus important
derrière ?
– Ce doit être des Germains, messire,
pour ce que j’en puis juger à la façon de leurs armures.
Les deux corps de cavalerie s’étaient avancés
lentement dans la plaine, laissant entre eux un espace d’environ un
quart de mille. Parvenus à deux jets de flèche de la ligne ennemie,
ils s’arrêtèrent. Tout ce qu’ils pouvaient voir des Anglais,
c’était la longue haie, avec de brefs scintillements d’acier au
travers de l’épaisse frondaison, et par-delà, les pointes des
lances des hommes d’armes qui s’élevaient au-dessus des buissons.
Devant eux s’étendait un merveilleux paysage d’automne avec son
feuillage virant aux mille teintes, baigné dans un sommeil
paisible, et rien, sinon les rares éclairs de l’acier, ne
trahissait l’ennemi immobile et silencieux qui leur barrait le
chemin. Mais l’esprit audacieux des cavaliers français ne s’en
éleva que plus haut devant le danger. L’air fut rempli soudain de
leurs clameurs guerrières et ils agitèrent au-dessus de leurs
têtes, dans un geste de menace et de défi, leurs lances garnies de
pennons multicolores. Des lignes anglaises, la vue était
splendide : les nobles destriers piaffant et se cabrant, les
chevaliers aux boucliers et surcots colorés, le balancement et les
ondulations des plumes et des bannières.
Puis il y eut une sonnerie de trompe. Avec un
grand cri, les éperons s’enfoncèrent profondément dans les flancs
des bêtes, les lances furent abaissées, et le vaillant escadron se
précipita comme l’ouragan vers le centre des lignes anglaises.
Ils avaient déjà franchi une centaine de pas,
et une autre encore, et ils ne décelaient toujours pas le moindre
mouvement devant eux, nul autre bruit que leurs propres cris de
guerre et le galop de leurs palefrois. Ils progressaient de plus en
plus vite. De derrière la haie, on avait une vision de chevaux
blancs, bais, gris ou noirs, le cou horizontal, les naseaux
distendus, le ventre traînant presque à terre sous des cavaliers
dont on n’apercevait que la pointe de l’écu surmontée d’un heaume à
panache et précédée d’un fer de lance.
Puis, soudain, le prince leva la main et
poussa un cri. Chandos le répéta et il se répercuta tout au long de
la ligne pour finir par s’enfler en un bruit de tonnerre auquel se
mêlèrent les vibrations des cordes et le friselis des flèches.
Hélas pour les nobles destriers ! Hélas
pour les vaillants hommes ! Après l’ardeur de la bataille, qui
ne pourrait s’apitoyer devant ce noble escadron réduit à l’état de
mine rougeoyante sous la pluie de flèches qui frappa les faces et
les poitrines des chevaux ? Le premier rang s’écroula et les
autres trébuchèrent sur lui avant d’avoir pu contrôler leur vitesse
ou s’écarter de l’horrible mur qui s’était soudain dressé, de
quinze pieds de haut, fait des corps de leurs malheureux
compagnons, des chevaux piaffant, ruant et hennissant, et d’hommes
pataugeant et se tordant dans une mare de sang. Par-ci, par-là, sur
les côtés, tel ou tel cavalier parvenait à se dégager et se
précipitait vers la haie, avec pour seul résultat de voir son
cheval abattu sous lui et d’être jeté à bas de sa monture. De ces
trois cents vaillants cavaliers, pas un seul n’atteignit la haie
fatale.
Se déroulant alors en une longue vague d’acier
ondoyant sous le soleil, le bataillon des Germains se précipita
dans un grondement de tonnerre. Ils ouvrirent une brèche au centre
dans ce monticule de la mort et se précipitèrent vers les archers.
C’étaient de vaillants hommes, bien conduits et à qui les rangs
aérés évitaient l’embarras qui avait été fatal à l’avant-garde.
Malgré cela, ils périrent séparément où les autres avaient succombé
en groupe. Quelques-uns furent frappés par les flèches ; les
autres eurent leurs montures tuées sous eux et furent à tel point
assommés par leur chute qu’ils ne purent se remettre sur pied et
restèrent étendus, alourdis par l’acier, à l’endroit même où ils
étaient tombés.
Trois hommes franchirent les buissons
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