Sir Nigel
Bretagne. Les quatre hommes à l’avant étaient
leurs chefs : le vieux Wat de Carlisle, Ned Widdington, le
rouquin des vallées, Bartholomew, le chauve armoïer, et Samkin
Aylward. Ils mangeaient du pain et des pommes dont Aylward venait
de rapporter un plein sac qu’il partageait de bon cœur avec ses
compagnons affamés. Le vieux frontalier et le Yorkshireman avaient
les traits tirés et les yeux profondément enfoncés, par suite des
privations, et la ronde figure de l’armoïer s’était affinée à tel
point que la peau lui pendait en lourdes poches sous les yeux et
sur les joues.
Par-derrière, des lignes d’hommes hagards et
affamés épiaient à travers la haie, silencieux et attentifs. Une
fois seulement, un fier hurlement salua l’arrivée de Chandos et de
Nigel qui, sautant à bas de leur monture, s’installèrent à côté
d’eux. Tout au long de la bordure verte des archers, on pouvait
voir les silhouettes scintillantes des chevaliers et écuyers qui
s’étaient portés en première ligne pour partager la fortune de ces
hommes.
– Il me souvient d’une compétition avec
un gars du Kent à Ashford… commença l’armoïer.
– Non, non, nous connaissons
l’histoire ! fit le vieux Wat énervé. Boucle-la, Bartholomew,
ce n’est guère le moment de débiter des âneries. Je te prie de
passer tout au long de la ligne afin de voir s’il n’y a point de
corde sautée ou d’arc fendu à réparer.
Le fabricant passa en revue la ligne des
archers sous les quolibets. Par-ci, par-là, on lui jetait un arc
par-dessus la haie, en quête d’un avis de professionnel.
– Cirez les têtes ! cria-t-il.
Passez le pot de cire et cirez les têtes ! Une flèche cirée
passera là où une autre ne passera pas… Tom Beverley, âne bâté, ta
corde va t’écorcher le bras à la première flèche !… Et toi,
Watkin, ne tire pas vers ta bouche, selon ton habitude, mais
jusqu’à ton épaule. Tu aimes tant à lever le coude que ta corde
suit automatiquement le même chemin. Non, reste là et garde toute
ta force pour bander ton arc car ils seront sur nous bientôt.
Il courut rejoindre ses camarades qui
s’étaient mis debout. Derrière eux, sur un demi-mille, des archers
espacés se tenaient à l’abri de la haie, leur grand arc prêt à
tirer, six flèches à leurs pieds dans l’herbe et dix-huit autres
dans leur carquois à leur côté. Une flèche sur la corde, les pieds
solidement plantés, les yeux perçants fixés dans les ouvertures de
la haie, ils attendaient l’assaut.
Le large flot d’acier, après s’être avancé,
s’était arrêté à environ un mille du front anglais. La plus grande
partie de l’armée avait mis pied à terre, laissant à la valetaille
le soin d’emmener les bêtes vers l’arrière. Les Français se
formèrent alors en trois grandes divisions éclaboussées de soleil,
mares argentées autour desquelles flottaient des milliers de
bannières et de pennons. Un espace de plusieurs centaines de yards
séparait chaque groupe. Au même moment, deux corps de cavaliers se
formèrent à l’avant. Le premier comprenait trois cents hommes en
rangs serrés, le second un millier environ, en une ligne plus
étendue.
Le prince s’était avancé jusqu’à la ligne des
archers. Il portait son armure noire, avait la visière levée et son
visage aux traits aquilins reflétait son ardeur et son esprit
martial. Les archers le saluèrent de leurs acclamations et il agita
la main pour leur répondre, comme un chasseur excitant ses
chiens.
– Alors, John, qu’en pensez-vous ?
demanda-t-il. Que ne donnerait mon noble père pour se trouver à nos
côtés, ce jour ! Avez-vous remarqué qu’ils avaient abandonné
leurs chevaux ?
– Oui, mon noble seigneur, ils ont
profité de nos leçons, répondit Chandos. Parce que nous avons eu de
la chance sur pied à Crécy et ailleurs, ils croient avoir trouvé le
bon moyen. Mais, selon moi, il est très différent de se trouver en
pied lorsqu’on est assailli, ainsi que ce fut notre cas, ou
d’attaquer lorsqu’il faut porter son armure pendant un mille et
arriver fatigué sur le champ.
– Vous parlez sagement, John. Mais ces
cavaliers qui se forment devant le front et qui avancent lentement
vers nous, que faites-vous d’eux ?
– Sans aucun doute, ils espèrent rompre
les cordes de nos archers et ouvrir la route aux autres. Ils sont
bien choisis, noble seigneur, car, regardez, ne sont-ce point là
les couleurs de
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