Sir Nigel
comme chez leurs parents de l’ordre des Bénédictins,
cependant la bibliothèque de Waverley était copieusement fournie en
livres précieux et ne manquait pas de lecteurs zélés.
Mais la vraie gloire des cisterciens résidait
dans leur travail extérieur : aussi à tout moment voyait-on
quelque moine de retour des champs ou des jardins traverser le
cloître, le visage brûlé par le soleil, le hoyau ou la bêche à la
main, la robe retroussée jusqu’aux genoux. Les grandes pâtures
d’herbe fraîche tachetées par les moutons à l’épaisse toison
blanche, les acres de terre conquises sur la bruyère et la fougère
pour être livrées au blé, les vignobles sur le versant sud de la
colline de Crooksbury, les rangées d’étangs de Hankley, les marais
de Frensham drainés et plantés de légumes, les pigeonniers
spacieux, tout cela entourait la grande abbaye et témoignait des
travaux accomplis par l’ordre.
La face pleine et rubiconde de l’abbé
s’illumina d’une calme satisfaction pendant qu’il contemplait sa
maison, immense mais bien ordonnée. Comme chef d’une grande et
prospère abbaye, l’abbé John, quatrième du nom, était un homme
particulièrement doué. Il s’était personnellement doté des moyens
qui lui permettaient d’administrer un vaste domaine, de maintenir
l’ordre et le décorum et de les imposer à cette importante
communauté de célibataires. Autant il faisait régner une discipline
rigide sur tous ceux qui se trouvaient au-dessous de lui, autant il
se présentait en diplomate subtil devant ses supérieurs. Il avait
des entrevues, aussi longues que fréquentes, avec les abbés et les
seigneurs voisins, les évêques et les légats pontificaux, et, à
l’occasion, avec le roi. Nombreux étaient les sujets qui devaient
lui être familiers. C’était vers lui qu’on se tournait pour régler
des points allant de la doctrine de la foi à l’architecture, de
questions forestières ou agricoles à des problèmes de drainage ou
de droit féodal. C’était également lui qui, sur des lieues à la
ronde, tenait dans le Hampshire et le Surrey la balance de la
justice. Pour les moines, son déplaisir pouvait signifier le jeûne,
l’exil dans quelque communauté plus sévère, voire l’emprisonnement
dans les chaînes. Il avait aussi juridiction sur les laïcs – à ceci
près toutefois qu’il ne pouvait prononcer la peine de mort, mais il
disposait, à la place, d’un instrument bien plus terrible :
l’excommunication.
Tels étaient les pouvoirs de l’abbé. Il
n’était donc point étonnant de lui voir des traits rudes où se
peignait la domination ni de surprendre chez les frères qui
levaient les yeux et apercevaient à la fenêtre le visage attentif
un réflexe d’humilité et une expression plus grave encore.
Un petit coup frappé à la porte du bureau
rappela l’abbé à ses devoirs immédiats, et il retourna vers sa
table. Il avait déjà vu le cellérier et le prieur, l’aumônier, le
chapelain et le lecteur, mais, dans le long moine décharné qui
obéit à son invitation à entrer, il reconnut le plus important et
le plus importun de ses adjoints : le frère Samuel, le
procureur, l’équivalent du bailli chez les laïcs et qui, en tant
que tel, avait la haute main – au veto de l’abbé près – sur
l’administration des biens temporels du monastère et son lien avec
le monde extérieur. Frère Samuel était un vieux moine noueux dont
les traits secs et sévères ne reflétaient aucune lumière céleste,
mais uniquement le monde sordide vers lequel il était constamment
tourné. Il tenait sous un bras un gros livre de comptes et de
l’autre main serrait un immense trousseau de clés, insigne de son
office. Occasionnellement aussi, il portait une arme offensive, ce
dont pouvaient témoigner les cicatrices de plus d’un paysan ou d’un
frère lai.
L’abbé soupira d’un air ennuyé, car il
souffrait beaucoup entre les mains de son diligent adjoint.
– Alors, Frère Samuel, que
désirez-vous ?
– Révérend Père, je dois vous rapporter
que j’ai vendu la laine à maître Baldwin de Winchester deux
shillings de plus à la balle que l’année passée, car la maladie qui
a décimé les moutons a fait monter les prix.
– Vous avez bien fait, mon Frère.
– Je dois aussi vous dire que j’ai fait
saisir les meubles de Whast, le garde-chasse, car le cens de Noël
est toujours impayé, de même que la taxe sur les poules.
– Mais
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