Sir Nigel
piétinait le corps
recroquevillé.
Un frémissement de terreur parcourut la ligne
de têtes tonsurées qui garnissaient le haut mur, frémissement qui
s’éteignit aussitôt dans un long silence, rompu enfin par des cris
de joie et de reconnaissance.
Un jeune homme était passé à cheval sur la
route menant au vieux manoir sur le versant de la colline. Sa
monture était une haridelle malingre et au pas traînant. De plus,
une tunique souillée et d’un pourpre délavé, une ceinture de cuir
décoloré donnaient au cavalier plutôt piteuse mine. Cependant, dans
la stature de l’homme, dans le port de sa tête, dans son allure
aisée et gracieuse, dans le fin regard de ses grands yeux bleus, on
percevait ce sceau de distinction et de race qui, dans toute
assemblée, lui aurait accordé la place qui lui revenait. Quoique
plutôt petit, il avait la silhouette singulièrement légère et
élégante. Son visage, bien que tanné par le temps, avait les traits
fins et une expression vive et décidée. Une épaisse frange de
boucles blondes s’échappait de dessous son bonnet plat et sombre,
une courte barbe dorée dissimulait le contour d’un menton qu’il
avait fort et carré. Une plume d’orfraie blanche, fixée par une
broche d’or sur le devant de sa toque, agrémentait de son charme ce
sombre ornement. Ce détail et d’autres encore dans son costume – la
courte cape, le couteau de chasse dans sa gaine de cuir, le cor de
bronze pendu en bandoulière, les douces poulaines en peau de daim
et les éperons – se révélaient à l’œil de l’observateur. Au premier
regard, on ne remarquait que le visage tanné encadré d’or et la
lueur dansante de ses yeux vifs et rieurs.
Tel était le cavalier qui, faisant joyeusement
claquer sa cravache et suivi d’une dizaine de chiens, s’avançait au
petit galop sur son poney le long de Tilford Lane. Avec un
méprisant sourire amusé, il observa la scène qui se déroulait dans
le champ et les efforts désespérés des servants de Waverley.
Mais soudain, lorsque la comédie tourna à la
tragédie, ce spectateur se sentit pris d’une vive ardeur. D’un
bond, il sauta à bas de sa monture, escalada le mur de pierre et
traversa le champ en courant. Se détournant de sa victime, le grand
cheval jaune vit s’approcher ce nouvel ennemi et, repoussant des
pattes le corps prostré, il fonça vers le nouvel arrivant.
Cette fois, il n’y eut pas de fuite, pas de
poursuite jusqu’au mur. Le petit homme se redressa, fit voler sa
cravache à poignée métallique et accueillit le cheval d’un violent
coup sur la tête, ce qu’il répéta à chaque attaque. Ce fut en vain
que l’animal se cabra et essaya de renverser son ennemi, de
l’épaule et des pattes tendues. Calme, vif et agile, l’homme
bondissait de côté, échappant à l’ombre même de la mort. Et à
chaque fois on entendait de nouveau le sifflement et le choc de la
lourde poignée.
Le cheval recula, considérant cet homme
puissant avec étonnement et colère. Puis il se mit à tourner autour
de lui, la crinière au vent, la queue fouettant les oreilles
basses, renâclant de rage et de douleur. L’homme, consentant à
peine un regard à son féroce adversaire, s’approcha du forestier
blessé, le souleva dans ses bras avec une force qu’on n’aurait pas
soupçonnée dans un corps aussi petit et le transporta, gémissant,
vers le mur où une douzaine de mains se dressèrent pour l’aider.
Puis, tout à l’aise, le jeune homme escalada le mur en lançant un
sourire de glacial mépris au cheval jaune qui s’était de nouveau
élancé derrière lui.
Lorsqu’il descendit de la muraille, une
douzaine de moines l’entourèrent pour le remercier et le
congratuler. Mais il leur aurait opposé un air renfrogné et serait
reparti, sans l’abbé John qui l’avait retenu en personne :
– Ne partez point, messire Loring. Si
même vous n’êtes point un ami de notre abbaye, il nous faut
reconnaître que vous vous êtes conduit aujourd’hui en parfait
chrétien car, s’il reste un souffle de vie dans le corps de notre
malheureux serviteur, c’est à vous, après notre bon patron, saint
Bernard, que nous le devons.
– Par saint Paul ! je ne vous dois
aucune bienveillance, Abbé John, répondit le jeune homme. L’ombre
de votre abbaye s’est toujours dressée devant la maison des Loring.
Et je ne demande aucun remerciement pour la petite action que j’ai
accomplie aujourd’hui. Je ne l’ai
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