Sir Nigel
faite ni pour vous ni pour votre
maison, mais uniquement parce que tel était mon bon plaisir.
L’abbé rougit de colère et se mordit les
lèvres devant ces paroles hautaines. Ce fut le procureur qui
répondit :
– Il serait plus décent de parler au
révérend père abbé d’une manière qui convînt mieux à son rang et au
respect dû à un prince de l’Église.
Le jeune homme tourna ses fiers yeux bleus
vers le moine et son visage tanné se rembrunit de colère.
– N’était-ce pour vos cheveux blancs et
l’habit que vous portez, je vous répondrais d’une autre façon
encore ! Vous êtes le loup affamé qui pleure sans cesse devant
notre porte, avide de nous enlever le peu qui nous reste. Dites et
faites de moi ce que bon vous semblera, mais, par saint Paul !
si jamais je découvre que Dame Ermyntrude a eu à souffrir de votre
meute de détrousseurs, je les chasserai à coups de fouet de la
petite parcelle de terre qui me reste de toutes les acres que
possédaient mes aïeux.
– Prenez garde, Nigel Loring, prenez
garde ! s’écria l’abbé, le doigt levé. N’avez-vous donc point
de crainte de la loi anglaise ?
– Je crains et respecte une loi
juste.
– N’avez-vous point le respect de la
sainte Église ?
– Je respecte en elle tout ce qui y est
saint. Mais je ne respecte point ceux qui détroussent les pauvres
ou volent la terre de leurs voisins.
– Jeune audacieux, nombreux sont ceux qui
ont été flétris et mis au ban de l’Église pour bien moins que ce
que vous venez de dire ! Mais il ne nous convient point de
vous juger sévèrement aujourd’hui. Vous êtes jeune, et les paroles
inconsidérées vous viennent facilement aux lèvres. Comment se porte
le forestier ?
– Ses blessures sont graves, Révérend
Père, mais il vivra, fit un frère en levant la tête par-dessus la
forme étendue. Avec une saignée et un électuaire, je garantis qu’il
sera sur pied en moins d’un mois.
– Alors, conduisez-le à l’hôpital. Et
maintenant, mon Frère, qu’allons-nous faire de cet animal sauvage
qui nous regarde par-dessus le mur en renâclant comme si ses
conceptions sur la sainte Église étaient aussi grossières que
celles de Sir Nigel ?
– Voici Franklin Aylward, répondit l’un
des frères. Le cheval est sien et il va sans doute le ramener à sa
ferme.
Mais le grand paysan rougeaud secoua la
tête.
– Que non, sur ma foi ! L’animal m’a
donné la chasse par deux fois dans la prairie et il a mis mon fils
Samkin à l’article de la mort. Il n’est pas une personne chez moi
qui oserait entrer dans son écurie. Je maudis le jour où j’ai pris
cet animal dans l’écurie du château de Guildford où l’on n’en
pouvait rien faire, ni trouver un cavalier assez audacieux pour le
monter. Quand le frère procureur l’a accepté en payement d’une
dette de cinquante shillings, il a conclu un marché. Qu’il s’y
tienne donc maintenant ! Cet animal ne reparaîtra plus à la
ferme de Crooksbury.
– Pas plus qu’il ne restera ici, fit
l’abbé. Frère procureur, vous avez amené le démon chez nous, à vous
de nous en faire quittes.
– Ce que je vais faire sur-le-champ. Le
frère trésorier pourra retenir les cinquante shillings sur mon
aumône hebdomadaire et ainsi l’abbaye n’y perdra rien. En
attendant, voici Wat avec son arbalète et un carreau à la ceinture.
Qu’il en touche cette maudite créature à la tête, car sa peau et
ses sabots ont plus de valeur qu’elle-même.
Un rude gaillard basané qui chassait la
vermine dans les jardins de l’abbaye s’avança avec un ricanement de
satisfaction. Après avoir passé sa vie à courir l’hermine et le
renard, il allait enfin voir un gros gibier s’effondrer devant lui.
Ajustant une flèche sur son arc, il l’amena à l’épaule et visa la
tête fière et échevelée qui dansait sauvagement de l’autre côté du
mur. Son doigt était replié sur la corde, lorsqu’un violent coup de
fouet lui fit sauter l’arc des mains. Sa flèche tomba à ses pieds
et il recula devant le regard féroce de Nigel Loring.
– Gardez vos flèches pour vos
belettes ! Oseriez-vous donc tuer une bête dont la seule faute
est d’avoir trop d’énergie et de n’avoir point encore rencontré
quelqu’un qui ait le courage de s’en rendre maître ? Vous
abattriez un cheval qu’un roi serait fier de monter, et cela parce
qu’un paysan ou un moine ou un valet de moine n’a ni
Weitere Kostenlose Bücher