Sir Nigel
joie fut assombrie par la pensée
des deux que son aimé avait encore à accomplir.
Chapitre 16 COMMENT LA COUR DU ROI FESTOYA DANS LE CHÂTEAU DE CALAIS
Ce fut par un beau matin ensoleillé que Nigel
trouva enfin la force de quitter sa chambre de la tour et de se
promener sur les remparts du château. Un petit vent du nord
soufflait, humide et chargé de senteurs marines. En respirant
profondément, Nigel sentit une vie nouvelle et des forces
régénérées qui montaient dans son sang et s’infiltraient dans ses
membres. Il retira la main qui s’appuyait au bras d’Aylward et se
tint, nu-tête, appuyé aux remparts et aspirant l’air fortifiant. Au
loin, sur la ligne d’horizon, on apercevait, à demi dissimulée par
la hauteur des vagues, la frange basse des falaises blanches qui
bordaient l’Angleterre. Entre elles et lui s’étendait la large
Manche bleue, striée de petits traits d’écume blanche, car la mer
était houleuse et les rares bateaux qu’on voyait avançaient
péniblement. Nigel de nouveau parcourut du regard cet espace, tout
réjoui qu’il le changeât des murs grisâtres de sa chambre. Il posa
enfin les yeux sur un étrange objet qui se trouvait à ses
pieds.
C’était une machine de la forme d’une
trompette de cuir et de fer fixée sur un appui de bois et montée
sur roues. À côté étaient entassés des blocs de métal et de grosses
pierres. Le bout de la machine était relevé et pointait en dehors
des remparts. Derrière se trouvait un coffre de fer que Nigel
ouvrit. Il était rempli d’une poudre noire et grossière, semblable
à de la cendre de charbon de bois.
– Par saint Paul, dit-il en passant la
main sur la machine, j’ai déjà entendu des hommes parler de ces
objets mais c’est la première fois que j’en vois. Ce n’est autre
qu’une de ces nouvelles et merveilleuses bombardes.
– En vérité, c’en est une, fit Aylward,
en regardant l’objet avec dégoût et mépris. Je les ai vues ici sur
les remparts et j’ai même échangé quelques coups de poing avec
celui qui en avait la charge. Il était assez sot pour croire que,
avec sa pipe de cuir, il pourrait tirer plus loin que le meilleur
archer de la chrétienté. Je lui ai porté un coup sur l’oreille qui
l’a étendu en travers de son fol engin.
– C’est une machine redoutable, fit
Nigel, qui s’était arrêté pour l’examiner. Nous vivons en des temps
étranges où l’on peut fabriquer de tels objets. C’est actionné par
le feu qui jaillit de cette poudre noire, n’est-ce pas ?
– Sur ma foi, noble seigneur, je ne le
sais. Cependant, il me souvient que ce ridicule bombardier m’a dit
quelque chose de la sorte avant que nous nous débarrassions de lui.
Ensuite, vous prenez encore de la poudre dans le coffre de fer et
vous la poussez dans le trou à l’autre bout… ainsi. Alors tout est
prêt. Je n’en vis aucune tirer, mais je gage que cette machine-ci
est prête.
– Et cela fait du bruit, n’est-ce pas,
archer ? fit Nigel, songeur.
– C’est ce qu’on m’a dit, messire. De
même que la corde de l’arc résonne, cette machine-ci aussi fait du
bruit.
– Personne ne l’entendra puisque nous
sommes seuls sur les remparts, et cette machine ne peut faire grand
mal puisqu’elle est pointée vers la mer. Je te prie de la
décharger. Je veux en entendre le son.
Il pencha une oreille attentive vers la
bombarde, cependant qu’Aylward, muni d’une pierre à feu, approchait
son visage bronzé de la mèche d’amadou. Un moment plus tard, Nigel
et lui-même se trouvaient assis sur le sol à quelque distance de là
et, au milieu du tonnerre et de la fumée, ils avaient une vision de
la machine noire qui reculait brusquement. Pendant une seconde ou
deux, le saisissement les paralysa sous l’écho de l’explosion qui
se mourait au loin et l’épaisse fumée qui se dégageait, laissant de
nouveau apparaître le ciel bleu.
– Quelle chance ! s’exclama enfin
Nigel en se relevant. Que le ciel me vienne en aide ! Je
remercie la Vierge de ce que tout soit encore comme avant. J’ai cru
que le château tout entier s’effondrait.
– Je n’ai jamais ouï pareil
grondement ! fit Aylward en se frottant les membres endoloris
par sa chute. Il serait bien capable de se faire entendre de
l’étang de Frensham jusqu’au château de Guildford. Je n’y toucherai
plus… pas même pour le plus beau morceau de terre de
Puttenham !
– D’ailleurs il pourrait t’en
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