Sir Nigel
grosses tranches de pain,
faisaient office d’assiettes, mais la table du roi était garnie de
plats en argent que nettoyaient après chaque service pages et
écuyers. En revanche, le linge de table était de grand prix et les
différents mets, présentés avec un luxe et une pompe inconnue de
nos jours, offraient une grande variété et un merveilleux
savoir-faire gastronomique. Outre tous les animaux de ferme et le
gibier, des friandises inattendues telles que hérissons, outardes,
marsouins, écureuils, butors et grues venaient enrichir les
festins.
Chaque plat nouveau, annoncé par une sonnerie
de trompes d’argent, était apporté par des serviteurs en livrée
marchant deux par deux, escortés par-devant et par-derrière de
maîtres de cérémonie rubiconds, tenant à la main une baguette
blanche qui leur servait non seulement d’insigne de leur rang, mais
aussi d’arme pour réparer tout désordre dans l’ordonnance des plats
durant leur transport de l’office jusqu’à la grande salle.
D’énormes hures de sanglier ornées d’armoiries, la gueule
flamboyante et les défenses dorées, étaient suivies de magnifiques
gâteaux ayant la forme de vaisseaux ou de châteaux, avec des marins
ou des soldats de sucre qui perdaient leurs corps dans une inutile
défense contre les attaques des convives affamés. Enfin venait la
grande nef, un immense plat d’argent monté sur roues et chargé de
fruits et de douceurs, qui approvisionnait tous les invités. Des
buires remplies de vins de Gascogne, du Rhin, des Canaries ou de La
Rochelle étaient toujours tenues prêtes par les serviteurs.
Cependant, cette époque qui s’adonnait au luxe ignorait l’ivresse,
et les habitudes sobres des Normands avaient prévalu sur l’aspect
licencieux des festins saxons, où un invité ne quittait jamais la
table sans avoir insulté son hôte.
Honneur et hardiesse font mauvais ménage avec
une main tremblante et un œil trouble.
Les vins, fruits et épices circulaient autour
des tables hautes, et les écuyers avaient été servis à leur tour à
l’autre bout de la salle. Et pendant ce temps, autour du siège du
roi, s’était rassemblé un groupe de chevaliers qui discutaient
vivement entre eux. Le comte de Stafford, le comte de Warwick, le
comte d’Arundel, Lord Beauchamp et Lord Neville se resserraient
derrière le dossier, Lord Percy et Lord Mowbray se tenant sur les
côtés. Et le petit groupe flamboyait sous les chaînes d’or, les
colliers de pierres précieuses, les mantelets rouges et les
tuniques pourpres.
Soudain le roi, par-dessus son épaule, dit
quelque chose à Sir William de Pakington, son héraut, qui s’avança
et se tint près du siège royal. C’était un grand homme aux nobles
traits et dont la longue barbe grise descendait jusque sur la
ceinture à boucle d’or serrée sur son tabard multicolore. Il avait
posé sur sa tête le bonnet à barrette héraldique, insigne de sa
dignité et, comme il élevait lentement son bâton blanc, un grand
silence se fit dans la salle.
– Messeigneurs d’Angleterre, dit-il,
chevaliers, écuyers et tous autres présents, de haute naissance et
portant blason, oyez ! Votre seigneur suzerain, craint et
respecté, Édouard, roi d’Angleterre et de France, me prie de vous
faire son salut et vous commande de venir à lui à seule fin qu’il
puisse vous parler.
Les tables furent aussitôt désertées et toute
la compagnie se groupa devant le siège du roi. Ceux qui s’étaient
trouvés assis à ses côtés se rapprochèrent si bien que sa grande
silhouette s’éleva au centre du cercle dense de ses invités.
Une légère rougeur teintant ses joues couleur
olive, il regarda tout autour de lui, avec une lueur d’orgueil dans
ses yeux sombres, les visages rudes de ces hommes qui avaient été
ses compagnons d’armes, de Sluys et Cadsand jusqu’à Crécy et à
Calais. Tous s’enflammèrent devant l’éclat de ce regard
autoritaire, et un hurlement soudain, fier et sauvage s’éleva
jusqu’aux voûtes du plafond, sorte de remerciement de ces soldats
pour ce qui s’était passé, et promesse à la fois pour ce qui était
à venir. Les dents du roi brillèrent en un large sourire tandis que
sa grande main blanche jouait avec la dague ornée de pierres
précieuses suspendue à sa ceinture.
– Par la splendeur de Dieu ! dit-il
d’une voix forte et claire. Je ne doute point que vous ne vous
réjouissiez avec moi, car me sont venues aux oreilles des
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