Sir Nigel
cuire,
archer, si tu le faisais encore, fit une voix coléreuse derrière
eux.
Chandos était apparu dans l’une des portes de
la tour d’angle et les regardait tous deux d’un air furibond.
Cependant, quand les explications lui eurent été fournies, son
visage s’illumina d’un large sourire.
– Cours à la garde, archer, et dis-leur
ce qui est arrivé, sans quoi tout le château et toute la ville vont
courir aux armes. Je me demande ce que va penser le roi d’une si
soudaine alerte. Et vous, Nigel, au nom de tous les saints, comment
pouvez-vous ainsi jouer à l’enfant ?
– J’ignorais le pouvoir de cette machine,
noble seigneur.
– Sur mon âme, Nigel, je crois qu’aucun
de nous n’en connaît le pouvoir. Je vois déjà le jour où tout ce
qui nous plaît dans la guerre, sa splendeur et sa gloire,
s’écroulera devant cet engin qui perce une armure d’acier aussi
aisément que nous transperçons une jaquette de cuir. Revêtu de mon
armure, j’ai enfourché mon palefroi et je suis venu voir le
bombardier poussiéreux, et je me suis dit que peut-être j’étais le
dernier des anciens et lui le premier des nouveaux, qu’un jour
viendrait où cet homme et sa machine nous balaieraient tous, vous,
moi et les autres, du champ de bataille.
– Mais pas tout de suite, je gage, noble
seigneur.
– Non, pas encore, Nigel. Vous aurez le
temps de conquérir vos éperons d’or, tout comme votre père l’a
fait. Comment sont vos forces ?
– Je suis prêt à la besogne, bon et
honoré seigneur.
– Tant mieux, car la tâche nous attend…
une tâche urgente, pleine de dangers et d’honneur. Ah, je vois
votre œil qui brille et tous vos traits rougissent, Nigel. Je sens
revivre ma propre jeunesse quand je vous regarde. Sachez donc que,
si la paix règne ici avec les Français, il n’en va point de même en
Bretagne, où les maisons de Blois et de Montfort luttent pour la
possession du duché. La Bretagne est partagée en deux, chaque
moitié combattant pour l’une des deux maisons. Les Français ont
embrassé la cause de Blois et nous, celle de Montfort ; et
c’est dans des luttes pareilles que de grands chefs, tels que Sir
Walter Manny, ont fait leur nom. Dernièrement cette guerre a tourné
à notre désavantage, et les mains sanglantes des Rohan, Beaumanoir,
Olivier le Ventru et autres sont tombées lourdement sur nos gens.
Les dernières nouvelles sont celles d’un désastre et l’âme du roi
est assombrie de colère parce que son compagnon Gilles de Saint-Pol
a été tué dans le château de la Brohinière. Il veut dépêcher des
secours et nous partons à leur tête. Cela vous plaît-il,
Nigel ?
– Que pourrais-je demander de mieux,
noble seigneur ?
– Alors préparez-vous, car nous partons
dans moins d’une semaine. Notre route par terre étant bloquée par
les Français, nous irons par mer. Cette nuit, le roi offre un
banquet avant son retour en Angleterre et votre place est derrière
mon siège. Venez dans ma chambre afin de m’aider à me vêtir et
ainsi nous entrerons ensemble dans la salle.
En satin et brocart lamé, sous le velours et
la fourrure, le noble Chandos était prêt pour le festin royal.
Nigel aussi avait passé son plus beau surcot de soie, orné des
roses rouges. Les tables étaient dressées dans la grande salle du
château de Calais, la table haute pour les lords, une seconde pour
les chevaliers moins distingués et une troisième pour les écuyers,
quand leurs maîtres seraient installés.
Jamais au cours de sa vie simple à Tilford
Nigel n’avait assisté à un spectacle d’une pareille magnificence.
Les murs gris étaient couverts du haut jusqu’au bas de précieuses
tapisseries d’Arras sur lesquelles cerfs, meutes et chasseurs
entouraient la grande salle d’une vivante image de la chasse.
Au-dessus de la table haute pendaient une série de bannières. Sous
les étendards s’alignaient des boucliers, chacun frappé aux armes
du noble gentilhomme qui prendrait place au-dessous. La lumière
rouge des torches éclairait les grades des grands capitaines. Les
lions et les lys brillaient au-dessus du siège à haut dossier
trônant au centre et le même auguste emblème indiquait le siège du
prince ; à gauche et à droite étincelaient les nobles insignes
honorés en temps de paix et redoutés dans la guerre : l’or et
le sable de Manny, la croix engrêlée de Suffolk, le chevron de
gueules de Stafford, l’écarlate et or d’Audley, le
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