Sir Nigel
dans la plaine
de Nieullet. Nous avons donc sauté à cheval et nous nous sommes
élancés sur eux. Ils furent quelque peu surpris en nous voyant
approcher, mais ils se mirent à crier entre eux : « Si
nous nous sauvons, tout est perdu ! Il vaut mieux combattre
dans l’espoir d’obtenir la victoire ! » C’est ce
qu’entendirent nos gens qui leur crièrent : « Par saint
Georges, vous dites vrai ! Maudit soit celui qui songerait à
fuir ! » Ils sont donc restés sur place comme des hommes
valeureux pendant l’espace d’une heure, et nombreux étaient ceux
qu’il est toujours agréable de retrouver : Sir Geoffroy en
personne et Sir Pépin de Werre, avec Sir Jean de Landas, le vieux
Ballieul de la Dent jaune, et son frère Hector le Léopard. Mais
par-dessus tout, Sir Eustace de Ribeaumont se mit en peine pour
nous faire honneur et il combattit le roi lui-même pendant un long
moment. Puis, lorsque tous eurent été abattus ou capturés, les
prisonniers furent amenés à un festin préparé pour eux. Les
chevaliers anglais les attendaient à table et tous firent bonne
compagnie. Voilà tout ce que nous vous devons, Nigel.
Le jeune écuyer rougit de plaisir en entendant
ces paroles.
– Non, mon très honoré seigneur, ce n’est
qu’une bien petite chose qu’il m’a été permis d’accomplir. Mais je
remercie le Seigneur et la Vierge d’avoir pu vous être de quelque
aide puisqu’il vous a plu de m’emmener avec vous en guerre. Si j’ai
la chance…
Mais les mots s’arrêtèrent sur les lèvres de
Nigel, qui retomba en arrière les yeux écarquillés par
l’étonnement. La porte de la petite chambre s’était ouverte et quel
était cet homme, grand, élégant, de noble prestance, au fin et long
visage et aux yeux sombres – qui était-ce, sinon le très noble
Édouard d’Angleterre ?
– Ah, voici mon petit coq du pont de
Tilford ! Je me souviens encore de vous, dit-il. Je suis très
heureux d’apprendre que vous avez recouvré vos esprits et j’espère
n’avoir point contribué à vous les faire perdre de nouveau.
L’air étonné de Nigel avait provoqué un
sourire sur les lèvres du roi. Puis le jeune écuyer bégaya quelques
paroles haletantes de gratitude pour l’honneur qui lui était
fait.
– Taisez-vous ! ordonna le roi. En
vérité ce m’est une joie que de voir le fils de mon ancien
compagnon Eustace Loring se comporter aussi vaillamment. Ce bateau
fût-il arrivé avant nous avec la nouvelle de notre venue, que tout
le mal que nous nous étions donné eût été vain, et il n’est pas un
Français qui se fût aventuré dans Calais ce soir-là. Mais
par-dessus tout, je vous remercie d’avoir mis entre mes mains celui
que j’ai juré de punir depuis longtemps pour nous avoir causé, par
des moyens faux et rusés, plus de tort que n’importe quel homme.
Par deux fois, j’ai juré que Peter le Furet Rouge serait pendu,
malgré son noble sang et son blason, lorsqu’il me tomberait entre
les mains. Voici enfin que ce temps est venu. Mais je n’ai point
voulu le mettre à mort avant que vous puissiez assister à son
exécution, puisque c’est vous qui l’avez capturé. Non, ne me
remerciez point : je ne pouvais faire moins.
Mais ce n’étaient point des remerciements que
Nigel tentait d’exprimer. Il avait peine à articuler les mots et
pourtant il lui fallait les dire.
– Sire, murmura-t-il, il me sied mal de
contrecarrer votre royale volonté…
La sombre colère des Plantagenêts se concentra
dans le sourcil relevé du roi dont les yeux profondément enfoncés
se mirent à lancer des éclairs.
– Pardieu ! Jamais homme n’a osé
contrarier ma volonté et su rester impuni. Voyons, jeune écuyer,
que signifient ces paroles auxquelles nous ne sommes point
habitué ? Mais soyez prudent, car ce n’est point dans une
affaire légère que vous vous aventurez.
– Sire, fit Nigel, dans toutes les
questions où je suis libre, je suis votre fidèle vassal, mais il
est des choses qui ne peuvent se faire !
– Comment ? s’écria le roi. Malgré
ma volonté ?
– Malgré votre volonté, sire, répondit
Nigel en se redressant sur sa couche, le visage pâle et les yeux
brûlants.
– Par la Vierge ! tonna le roi en
colère, vous êtes resté trop longtemps dans votre foyer, jeune
homme. Et le cheval qui reste trop longtemps à l’écurie rue. Le
faucon qui n’a pas coutume de voler manque sa proie. Veillez-y,
maître Chandos ! C’est à
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