Sir Nigel
prisonnier. La porte enfin s’ouvrit,
livrant passage à celui qu’il attendait le moins et qu’il était
cependant le plus heureux de voir : le Furet Rouge lui-même,
libre et joyeux.
Il traversa la chambre d’un pas léger et
rapide et s’agenouilla à côté de la couche pour baiser la main
pendante.
– Vous m’avez sauvé, noble
seigneur ! La potence était dressée et la corde se balançait
déjà quand le bon Lord Chandos annonça au roi que vous mourriez de
votre propre main si j’étais condamné. « Maudit soit cet
écuyer à la tête de mule ! cria le roi. Au nom de Dieu,
donnez-lui son prisonnier et qu’il en fasse ce que bon lui plaît
pour autant qu’il ne m’importune plus ! » Et me voici
donc, bon seigneur, pour vous demander ce que je dois faire.
– Je vous prie de vous asseoir à côté de
moi et de vous mettre à l’aise. Je vais vous dire en quelques mots
ce que j’attendais de vous. Je garderai votre armure car elle me
sera un précieux souvenir de la bonne fortune que j’eus de
rencontrer un vaillant chevalier. Nous sommes à peu près de même
taille et je ne doute point que je la puisse porter. Comme rançon,
je vous demanderai mille couronnes.
– Non, non ! cria le Furet. Ce
serait une bien triste chose si un homme dans ma position valait
moins de cinq mille couronnes.
– Mille suffiront, bon seigneur, pour
payer mes frais de guerre. Vous ne jouerez plus à l’espion, et ne
nous ferez plus de tort jusqu’à ce que la paix soit rompue.
– Je vous le jure.
– Enfin, je vous demande de faire un
voyage.
Le visage du Français s’allongea.
– J’irai où vous me l’ordonnerez, dit-il,
mais je prie que ce ne soit point en Terre sainte.
– Non, répondit Nigel, c’est en un pays
qui m’est saint, à moi. Vous retournerez à Southampton.
– Que je connais très bien. J’ai
contribué à incendier cette ville il y a quelques années.
– Je vous conseille de n’en rien dire
lorsque vous y serez. Vous prendrez ensuite la route de Londres
jusqu’à ce que vous parveniez à une belle petite ville nommée
Guildford.
– J’en ai entendu parler. Le roi y a des
terrains de chasse.
– C’est cela même. Vous demanderez alors
une demeure nommée Cosford, à deux lieues de la ville sur le
versant de la colline.
– Je m’en souviendrai.
– À Cosford, vous trouverez un bon
chevalier nommé Sir John Buttesthorn, et vous demanderez à parler à
sa fille, Lady Mary.
– Je ferai ainsi que vous le dites. Et
que dirai-je à Lady Mary qui habite à Cosford sur le flanc d’une
colline à deux lieues de la belle petite ville de
Guildford ?
– Dites simplement que je lui envoie mes
salutations et que sainte Catherine m’a bien soutenu… et rien de
plus. Et maintenant, laissez-moi, je vous prie, car j’ai la tête
lourde et je crains de m’évanouir.
C’est ainsi que, un mois plus tard, au soir de
la fête de la Saint-Mathieu, Lady Mary, alors qu’elle venait de
franchir la porte de Cosford, rencontra un étrange cavalier,
richement vêtu, que suivait un serviteur, et qui regardait autour
de lui. En apercevant la jeune femme, il tira son chapeau et arrêta
son cheval.
– Cette demeure doit être Cosford,
dit-il. Seriez-vous par hasard Lady Mary qui y habite ?
La dame inclina sa fière tête noire.
– Alors, le squire Nigel Loring vous
envoie ses salutations et vous fait dire que sainte Catherine l’a
bien soutenu.
Puis, se tournant vers son valet, il lui
cria :
– Holà, Raoul, notre tâche est
accomplie ! Ton maître est de nouveau un homme libre. En
avant, mon garçon, vers le port le plus proche de la
France !
Et sans un mot de plus, les deux hommes
éperonnèrent leurs montures et descendirent en un galop effréné la
colline de Hindhead jusqu’à ce qu’ils ne fussent plus que deux
points noirs à l’horizon, enfoncés jusqu’à la taille dans la
bruyère.
Mary retourna vers la maison avec un doux
sourire aux lèvres. Nigel lui avait envoyé ses salutations. Un
Français les lui avait apportées et, ce faisant, était redevenu un
homme libre. Et sainte Catherine avait bien aidé Nigel. C’était
dans son sanctuaire qu’il avait juré de ne plus reparaître devant
celle qu’il aimait avant d’avoir accompli trois actions d’éclat.
Dans sa chambre, Lady Mary tomba à genoux sur son prie-Dieu et
remercia de tout cœur la Vierge de ce qu’une action déjà eût été
accomplie. Mais en le faisant, sa
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