Sir Nigel
vous qu’il revient de le briser et je
vous en tiendrai responsable si vous ne le faites. Et qu’est-ce
donc qu’Édouard d’Angleterre ne puisse faire, maître
Loring ?
Nigel fit face au roi.
– Vous ne pouvez condamner à mort le
Furet Rouge.
– Pardieu ! Et pourquoi
donc ?
– Parce que ce n’est point à vous qu’il
appartient de frapper, sire. Parce que le prisonnier est mien.
Parce que je lui ai promis la vie et que ce n’est point à vous,
même si vous êtes le roi, qu’il sied de contraindre un homme de
noble sang à ne point tenir sa parole et à perdre son honneur.
Chandos posa la main sur l’épaule du jeune
écuyer.
– Pardonnez-lui, sire. Il est affaibli
par ses blessures, dit-il. Peut-être sommes-nous restés trop
longtemps. Le médecin lui a ordonné beaucoup de calme.
Mais le roi en colère ne pouvait être
facilement apaisé.
– Je n’ai point coutume d’être rudoyé de
la sorte. Il s’agit de votre écuyer, maître John. Comment se
fait-il que vous puissiez rester là à écouter ce discours
impertinent sans dire un mot pour l’arrêter ? Est-ce donc
ainsi que vous dirigez votre maison ? Ne lui avez-vous donc
point appris que toute parole donnée est soumise au consentement du
roi et que c’est en sa personne seulement que résident les ressorts
de la vie et de la mort ? S’il est malade, vous du moins vous
êtes bien portant. Pourquoi restez-vous là, à garder le
silence ?
– Monseigneur, fit Chandos gravement, je
vous sers depuis plus de vingt ans et j’ai versé mon sang pour
votre cause par autant de blessures. Vous ne pouvez donc mal
interpréter mes paroles. Mais, en vérité, je ne me considérerais
plus comme un homme si je ne disais que mon écuyer Nigel, même s’il
a employé un mode de parler qui ne convenait point, a raison en
cette question, et que vous avez tort. Réfléchissez, sire…
– Assez ! cria le roi, plus furieux
encore. Tel maître, tel valet ! J’aurais dû me douter pour
quelle raison cet écuyer effronté a osé s’opposer aux ordres de son
souverain. Il ne fait que répéter ce qu’on lui a appris. John,
John, vous devenez audacieux ! Mais écoutez-moi bien, et vous
aussi, jeune homme : aussi vrai que Dieu est mon aide, avant
que le soleil se couche ce soir, en guise d’avertissement à tous
les traîtres et espions, le Furet Rouge sera pendu à la haute tour
du château de Calais, afin que tous les bateaux qui traversent la
mer et tous les hommes à dix milles à la ronde puissent le voir se
balancer au vent et comprennent que la main du roi d’Angleterre est
lourde. Mettez-vous bien cela dans la tête, si vous ne voulez pas,
vous aussi, en sentir le poids.
Tel un lion furieux, il sortit de la chambre
et la lourde porte bardée de fer claqua derrière lui.
Chandos et Nigel se regardèrent tristement.
Puis le chevalier posa la main sur la tête bandée de son
écuyer.
– Vous vous êtes très bien comporté,
Nigel. Je n’aurais pu souhaiter mieux. N’ayez crainte, tout
s’arrangera.
– Mon bon et honoré seigneur, s’écria
Nigel, j’ai le cœur bien lourd car je ne pouvais agir autrement et,
ce faisant, je vous ai attiré des ennuis.
– Non, le nuage sera vite passé. S’il tue
quand même le Français, vous aurez fait tout ce qui était en votre
pouvoir, et vous pourrez avoir la conscience en paix.
– Je souhaite surtout que je la puisse
avoir en paix en paradis, fit Nigel. Car à l’heure même où
j’apprendrai que j’ai été déshonoré et que la main de mon souverain
a frappé, j’arracherai les bandages qui recouvrent cette tête et
ainsi, tout sera fini. Je ne pourrais survivre à mon
déshonneur.
– Non, mon fils, vous prenez la chose
trop à cœur, fit Chandos, gravement. Lorsqu’un homme a fait tout ce
qu’il pouvait, il n’est plus question de déshonneur. Mais le roi
possède un bon cœur malgré sa tête chaude et il se peut, si je le
vois, que je parvienne à avoir raison de lui. Souvenez-vous qu’il
avait juré de pendre six bourgeois de la ville à cette même tour
et, cependant, il leur a pardonné. Haut les cœurs donc, mon fils,
et avant ce soir, je viendrai avec de bonnes nouvelles.
Durant trois heures, alors que le soleil
déclinant allongeait les ombres sur le mur de la chambre, Nigel
s’agita fiévreusement sur sa couche, les oreilles tendues dans
l’espoir d’entendre les pas d’Aylward ou de Chandos, lui apportant
des nouvelles du destin de son
Weitere Kostenlose Bücher