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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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on nous offrait du cidre dans les Ardennes, de la bière dans les départements allemands. Quoi qu’il en soit, nous quittâmes ces voitures sans regrets, préférant marcher et porter tout notre attirail militaire.
    Le 5 octobre, nous étions au soir à Closler-Brach, bourg avec une superbe abbaye. Le 1 er régiment y resta ; le 2 ème fut détaché dans un fort village, sur la gauche et très loin de la route qui conduit à Bamberg. Pour y arriver, il fallait traverser une forêt très accidentée et montueuse. La nuit nous y surprîmes. En peu d’instants, les hommes n’y voyant plus, dans le chemin presque pas tracé que l’on suivait, heurtèrent contre les arbres et les buttes, tombèrent dans les creux, les fossés, les ravins ou les précipices. Ce furent des cris, des jurements, des gémissements épouvantables. Les chasseurs, pour éviter les accidents qui arrivaient à ceux qui les précédaient, s’écartèrent de la route, s’éparpillèrent dans la forêt et finirent par s’y égarer. C’est en vain que le général Curial, colonel en second, qui était à la tête du régiment, le fit arrêter, battre les tambours pour les rallier, cela fut sans résultat, parce qu’il y avait impossibilité. On ne faisait pas quatre pas sans trouver un obstacle ; heureusement que j’étais à l’avant-garde, où il y avait des guides et des torches éclairées, ce qui nous permit d’arriver, quoi que tard, au logement, sans accident. Plus des trois-quarts du régiment passèrent la nuit dans la forêt ; beaucoup étaient blessés ou contus. Tous ceux des hommes qui étaient restés en arrière rejoignirent le régiment, avant d’entrer à Bamberg ; on s’arrêta longtemps pour les rallier tous.
    Le 7, à Bamberg, une proclamation de l’Empereur à la Grande Armée, lue aux compagnies formées en cercle, nous apprit que la guerre était déclarée à la Prusse.
    Le 10, après avoir traversé les forêts de la Thuringe et les petites villes de Lobenstein, Eberedorf et Saalbourg, sur la Saale, nous vîmes le 5 ème corps aux prises avec l’armée prussienne et la poussant vigoureusement vers Saalfeld, où elle fut battue complètement. Le prince Louis de Prusse, neveu du roi, qui se tenait à l’arrière-garde, fut tué d’un coup de sabre par un maréchal des logis du 10 ème hussards. Le point où nous nous trouvions et d’où était partie une division d’infanterie du 5 ème corps pour entrer en ligne, était couvert de nombreux effets d’habillement, que les soldats avaient jetés, pour alléger leurs sacs qui étaient trop lourds pour combattre. En effet, nous étions tous trop chargés, ce qui rendait la marche de l’infanterie lourde et embarrassée. Nous arrivâmes à Schleitz.
    Tout était sens dessus dessous dans cette petite ville saxonne, tant les maux de la guerre avaient porté l’effroi et la terreur chez les habitants. À souper, notre bauer (paysan, comme disaient les vieux chasseurs) nous servit en argenterie. Après le repas, je lui dis que s’il voulait la conserver, je l’engageais très fort de la cacher et de la remplacer par des couverts en fer. Je pense qu’il aura suivi mon conseil.
    Le 11 octobre, sur la route et dans les champs qu’avoisinaient Auma, nous voyions beaucoup de cadavres prussiens, des suites d’un combat de cavalerie. Il nous fut défendu d’entrer dans cette petite ville assez jolie ; mais, n’ayant pas de vivres la faim qui chasse le loup du bois, comme dit le proverbe, nous fit enfreindre la consigne.
    J’étais dans une cour avec plusieurs autres chasseurs, en train de dépecer un cochon que nous venions de tuer, lorsque le maréchal Lefèvre, commandant la Garde à pied, et le général Rousset, chef d’état-major général de la Garde impériale, y entrèrent. La peur nous glaça d’effroi, et nous fit tomber les couteaux des mains ; impossible de fuir, ils avaient fermé la porte sur eux. D’abord, grande colère, menace de nous faire fusiller ; mais, après avoir été entendus, ils nous dirent, moitié en colère, moitié en riant : « Sauvez-vous bien vite au camp, sacrés pillards que vous êtes ; emportez votre maraude sans qu’on la voie, et surtout évitez de vous laisser prendre par les patrouilles. » Le conseil était bon, nous le suivîmes en tous points. On rit beaucoup, au bivouac, de la venette que nous venions d’avoir et de la grande colère pour rire du bon maréchal.

IÉNA
     
    13 octobre. – Au bivouac,

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