Souvenir d'un officier de la grande armée
nuit, depuis longtemps, quand nous entrâmes dans nos logements.
Le 7 décembre commença le retour en France. À Brunn, nous longeâmes une partie du champ de bataille, sur lequel on voyait encore des morts. Le 10, après avoir repassé le Danube et traversé Vienne, nous arrivons à Freysing, en face du village et du palais impérial de Schœnbrunn, pour y séjourner jusqu’au 27 décembre.
Pendant ce long et salutaire repos, je fus plusieurs fois à Vienne pour visiter cette capitale, faire quelques emplettes et convertir en monnaie de France les florins en papier, avec lesquels on venait de régler l’arriéré de solde qui nous était dû, depuis notre passage du Rhin. C’était de l’argent bien gagné, mais les coquins de changeurs profitèrent de la circonstance pour nous faire perdre beaucoup dessus, la guerre désastreuse que venait de faire l’Autriche ayant beaucoup déprécié ce papier monnaie, sans compter l’ignorance où j’étais sur sa véritable valeur.
Pendant notre séjour, nous reçûmes nos capotes d’uniforme venant de France. Elles furent bien accueillies, car nos sarraux de toile avec lesquels nous avions fait la campagne n’étaient ni chauds ni beaux.
Nous eûmes, pendant les dix-sept jours de ce cantonnement, de très mauvais jours, surtout beaucoup de neige et de fortes gelées. L’Empereur nous faisait souvent prendre les armes, pour nous faire manœuvrer et défiler.
Le 26, le canon nous annonça la conclusion de la paix ; elle avait été signée le 25 à Presbourg.
Le 28 au matin, notre bataillon fut envoyé à Vienne, pour prendre et escorter le Trésor de l’armée jusqu’à Strasbourg ; il se composait de huit fourgons et de douze à quinze millions en or ou en argent. La plus grande partie venait de France, et n’avait pas été dépensée dans cette courte campagne, qui, au lieu de l’appauvrir, l’avait augmenté.
Le 20 février 1806, nous arrivions à la caserne de Rueil.
Notre absence de Paris avait été de 174 jours. Jours de marche, 110 ; jours de repos : 60. De Vienne à Paris, on marcha 46 jours pour faire 306 lieues, ce qui fait une moyenne de 6 lieues 2/3 par jour.
SEPT MOIS À RUEIL
À Rueil, notre service se bornait à monter la garde à la Malmaison et au palais de Saint-Cloud, ces deux services n’étant pas fatigants parce que peu fréquents. À Saint-Cloud, on était nourri des deniers de l’Empereur ; les repas étaient à peu près les mêmes qu’à la caserne. Un autre service, un peu plus pénible, c’était d’aller défiler la parade aux Tuileries, tous les quinze jours.
Les gardes qu’on montait à Saint-Cloud offraient beaucoup d’intérêt, par le curieux spectacle que présentait cette immense réunion de grands personnages, qui allaient faire leur cour au puissant monarque, au vainqueur de l’anarchie et des ennemis de la France. J’ai vu là, bien souvent, des rois, des princes, presque tous les maréchaux, les ministres, les grands dignitaires de l’Empire, les grands officiers de la couronne, les sénateurs, les généraux de l’armée et tous les grands fonctionnaires, qui venaient saluer le maître des destinées de l’Europe. C’était vraiment beau, le jour des grandes réceptions. Il ne passait pas un de ces personnages illustres que je ne m’informasse de son nom ; en peu de temps, je les connus presque tous.
Ce fut pendant mon séjour à Rueil que je fus instruit de la douloureuse perte que ma mère et toute la famille venaient de faire en la personne de mon père, décédé à l’âge de soixante-six ans. Cette mort inattendue me causa beaucoup de douleur, car je perdais en lui plutôt un ami qu’un père, tant il avait de bonté et d’amitié pour moi. Sa correspondance si aimante, si questionneuse, me charmait et me consolait souvent.
Des bruits de guerre qui circulaient depuis quelques temps prenaient de jour en jour plus de consistance ; un camp d’infanterie de quatre régiments, établi sous Meudon, faisait pressentir de prochaines hostilités, car tout s’y organisait pour la guerre. La curiosité, le désir de voir un de mes amis, nommé officier récemment, lors de la promotion qui avait été faite à Vienne, m’y firent aller deux fois pour jouir de ce spectacle militaire, aux portes de la capitale, et témoigner à mon ami combien j’étais satisfait de lui voir les épaulettes et l’épée, au lieu du sac et du fusil que nous portions, nous, ses camarades moins
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