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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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favorisés. À la vérité, cette promotion fut peu nombreuse, puisqu’elle ne s’étendit que sur seize des grenadiers et chasseurs ; mais elle fit plaisir, même à ceux qui ne furent pas au nombre des élus, parce qu’elle prouvait que l’intention de l’Empereur était de nous nommer, tous, successivement ; mais seize sur seize cents, c’était bien peu.
    Le 11 septembre (1806), toute la Garde, considérablement augmentée depuis la fin de la campagne, fut réunie dans la plaine des Sablons pour passer la revue de détail de l’Empereur. Tout y était, personnel, matériel, administration : on n’avait laissé dans les quartiers que les hommes et les chevaux qui ne pouvaient pas se tenir sur leurs jambes.
    Les compagnies ayant été déployées sur un seul rang, les sacs à terre et ouverts devant chaque homme, et les cavaliers à pied tenant leurs chevaux par la bride, l’Empereur passa à pied devant le front du rang déployé, questionna les hommes, visita les armes, les sacs, l’habillement avec une lenteur presque désespérante. Il visita de même les chevaux, les canons, les caissons, les fourgons, les ambulances, avec la même sollicitude, la même attention que pour l’infanterie. Cette longue et minutieuse inspection terminée, les régiments se reformèrent dans leur ordre habituel, pour qu’il vît l’ensemble des troupes et les fît manœuvrer.
    Déjà quelques mouvements avaient été exécutés, lorsque survint un orage furieux, déchaîné, épouvantable : toute cette splendeur, des éclatantes dorures, ces brillants uniformes furent ternis, salis, mis hors de service, surtout ceux des chasseurs à cheval et de l’artillerie, si élégants et si riches. Moins d’un quart d’heure suffit pour rendre le terrain impraticable et interdire même le défilement. On se retira triste, défait comme si on eût perdu une grande bataille.
    Quelques jours après, nous reçûmes l’ordre de nous tenir prêts à partir pour le 20. Cette nouvelle fut reçue avec joie. On était ennuyé, depuis longtemps de cette vie douce et tranquille, de ce bien-être, qu’on ne sait pas apprécier, quand on ne le compare pas avec les souffrances passées et si vite oubliées.
    Nous restâmes dans cette pacifique garnison sept mois justes.

GUERRE CONTRE LA PRUSSE
     
    Nous partîmes le 20 septembre. Cette étape, déjà très longue en partant de Paris, le fut de trois lieues de plus, pour nous qui venions de Rueil. Quand j’arrivai à Saint-Marc, où la compagnie était détachée, je tombai sur le seuil de mon logement, comme un homme frappé par un boulet. Je fus longtemps sans reprendre connaissance. Grâce aux soins touchants de la respectable dame chez qui j’étais logé, et grâce à une saignée, que me pratiqua le chirurgien du village, je revins à la vie.
    Le repos de la nuit et une forte constitution me donnèrent du courage et des jambes, pour le lendemain.
    Le 22, au jour, nous montâmes sur les chars qui avaient porté la veille le 1 er régiment. Ces voitures nous conduisirent jusqu’à Soissons, où nous prîmes ceux qu’il venait de quitter, en sorte que les mêmes voitures faisaient deux étapes, et que le 2 ème régiment couchait où le 1 er faisait halte dans la journée et halte dans le lieu où le 1 er couchait.
    Le 23, nuit à Rethel ; le 24, nuit à Stenay. Les 25, 26 et 27 et toute la nuit du 28 en route, sans autre repos que le temps nécessaire pour changer de voiture et manger un morceau à la hâte, quand on le permettait. Ces soixante-douze heures passées sur les voitures nous brisèrent le corps. Entassés sur des méchants chariots de paysans, sans bancs, presque sans paille, ne pouvant ni nous asseoir passablement, ni dormir quelques minutes tranquillement, nous désirions ardemment la fin de ce long voyage, où l’on était si incommodément sous tous les rapports.
    Comment aurait-on pu trouver une place passable, avec l’embarras de dix à douze fusils, les sabres, les gibernes, les sacs de dix à douze hommes ennuyés, mécontents et souvent peu endurants, la moindre contrariété se changeant en querelle ! À part ces moments de mauvaise humeur, bien excusables parfois, on était gai dans le jour, parce qu’on marchait aux montées, parce qu’on causait avec les habitants, qui se portaient en foule sur notre passage. C’était un spectacle nouveau et intéressant pour eux. Dans beaucoup de villages, on jetait des paniers de fruits dans les voitures ;

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