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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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en avant d’Iéna, sur une montagne et sur la rive gauche de la Saale. Pour y arriver, nous traversons la ville et prenons position : il était déjà nuit. Ayant su que le 21 ème léger du 5 ème corps n’était pas très éloigné, je fus voir les nombreux compatriotes qui y servaient. Ils étaient aux avant-postes, sans feu, avec défense de combat, et je les quittai bientôt. De retour au camp, j’apprends qu’Iéna est en feu et qu’on s’y est rendu en foule. Je fis comme les autres, malgré la lassitude, la distance à parcourir et le détestable chemin à descendre, que plus de mille hommes étaient occupés à rendre praticable pour l’artillerie et la cavalerie. Et, en effet, sur l’étroit plateau où se trouvaient les combattants, il n’y avait encore ni artilleurs, ni cavaliers, et cependant une portée de fusil ne séparait pas les deux armées. Après avoir franchi ce mauvais pas, j’entrai dans Iéna. Grand Dieu ! quel affreux spectacle offrait cette malheureuse ville, dans cet instant de la nuit ! D’une part le feu ; de l’autre, le bris des portes, les cris de désespoir. J’entrai dans la boutique d’un libraire : les livres étaient jetés pêle-mêle sur le plancher. J’en prends un au hasard : c’était le guide des voyageurs en Allemagne, imprimé en français. C’était le deuxième volume ; je cherche vainement le premier, je ne le trouve pas. (Mais le lendemain de la bataille, quand l’ordre eut été rétabli, je retournai chez le libraire, pour le prier de me vendre ce premier volume. C’était un peu lourd à porter dans un sac, mais j’étais si content d’avoir cet ouvrage qu’il me semblait que son poids ne devait pas m’incommoder.) En sortant de cette librairie, j’entrai dans la boutique d’un épicier ; on se partageait du sucre en pains. On m’en donna cinq ou six livres, que je portai de suite au camp. Je n’eus que cela à manger pendant toute la journée du lendemain.
    Peu d’heures après mon retour au camp, on prit les armes, on se forma en carré et on attendit en silence le signal du combat.
    14 octobre. – Un coup de canon tiré par les Prussiens, dont le boulet passa par dessus nos têtes, annonça l’attaque. Un bruit de canons et de fusils se fit aussitôt entendre sur les lignes des deux armées ; les feux d’infanterie étaient vifs, continuels, mais on ne découvrait rien, le brouillard étant si épais qu’on ne voyait pas à six pas. L’Empereur était parvenu par ses habiles manœuvres à forcer les Prussiens à donner la bataille dans une position et sur un terrain peu favorables, puisqu’ils présentaient le flanc gauche à leur base d’opération et qu’elle était tournée.
    L’Empereur déjeuna devant la compagnie, en attendant que le brouillard se levât. Enfin, le soleil se montra radieux, l’Empereur monta à cheval, et nous nous portâmes en avant. Jusqu’à quatre heures du soir, nous manœuvrâmes pour appuyer les troupes engagées. Souvent notre approche suffisait pour obliger les Prussiens et les Saxons à abandonner les positions qu’ils défendaient ; malgré cela, la lutte fut vive, la résistance désespérée, surtout dans les villages et les bouquets de bois, mais une fois que toute notre cavalerie fut arrivée en ligne et put manœuvrer, alors ce ne fut plus que désastre. La retraite se changea en déroute, et la fuite fut générale.
    L’Empereur nous arrêta sur un plateau découvert et très élevé, où il resta près d’une heure à recevoir les rapports qui lui arrivaient de tous les points, à donner des ordres et à causer avec les généraux. Placé au milieu de nous, nous pûmes le voir jouir de son immense triomphe, distribuer des éloges, et recevoir avec orgueil les nombreux trophées qu’on lui apportait. Couché sur une immense carte ouverte, posée à terre, ou se promenant les mains derrière le dos, en faisant rouler une caisse de tambour prussien, il écoutait attentivement tout ce qu’on lui disait, et prescrivait de nombreux mouvements.
    Après que ces masses de prisonniers, ces innombrables canons eurent défilé devant les vainqueurs, que le canon ne se fit plus entendre, ou du moins que ses détonations furent très éloignées, l’Empereur rentra à Iéna, suivi de la garde à pied. Nous avions plus de deux lieues à faire, il était plus de cinq heures ; aussi nous ne pûmes arriver qu’après sept heures du soir. On se logea militairement, chaque caporal

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