Souvenir d'un officier de la grande armée
amenant son escouade avec lui. Une maison d’assez belle apparence nous engagea à y entrer ; nous étions les premiers, nous en prîmes possession : c’était un pensionnat de demoiselles. La cage était restée, mais les oiseaux s’étaient envolés, en laissant leurs plumes, du moins une partie de leurs hardes : les pianos, les harpes, les guitares, leur livres, de charmants dessins ou gravures et des fournitures de bureau à satisfaire tous les besoins et tous les goûts. Les appartements étaient élégamment meublés et très coquets. Je profitai de cette circonstance pour écrire à mon frère aîné une longue lettre, où je lui rendais compte de notre brillante victoire.
Le lendemain, au jour, je fus flâner autour du quartier général, pour guetter le départ du courrier impérial. Je n’attendis pas longtemps. Je priai le premier courrier qui partit de mettre ma lettre à la poste, dès son arrivée à Mayence. Il s’en chargea avec plaisir, en me disant qu’on ne saurait trop répandre les bonnes nouvelles.
Le 15, nous fûmes chargés de faire cuire beaucoup de viande, qu’on dut chercher dans la campagne, pour faire du bouillon pour les blessés. Toute la journée, la Garde s’est occupée de ce pieux devoir. Mon Dieu, que de blessés ! Toutes les églises, tous les grands établissements en étaient remplis. Les fonctions d’infirmier sont bien pénibles, quand on s’identifie avec les souffrances des malheureux qu’on s’efforce de soulager !
Le 18, à Mersebourg, sur la rive gauche de la Saale, dans une situation charmante. J’étais de garde auprès de l’Empereur, qui arriva après nous, venant de Weimar.
Dans la journée, nous passâmes près du champ de bataille de Rosbach. La journée d’Iéna a bien vengé cette défaite.
L’EMPEREUR ENTRE À BERLIN
27 octobre. – Depuis quelques jours, nous marchions dans les sables des bords de l’Elbe et de la marche de Brandebourg, ce qui avait singulièrement attendri et ramolli nos pieds. Une fois sur l’affreux pavé de Potsdam, fait en petits cailloux pointus, on éprouva des douleurs vraiment atroces. Ce n’était pas marcher qu’on faisait, mais sauter comme des brûlés. Si ce n’eût pas été aussi douloureux, ç’aurait été bien comique.
Au matin, nous partîmes de Charlottenbourg, en grande tenue, bonnet et plumet en tête, toute la Garde réunie et disposée à faire une entrée solennelle. Arrivé à la belle porte de Charlottenbourg, ou plutôt à ce magnifique arc de triomphe sur lequel est un quadrige d’un très beau travail, l’Empereur laissa passer sa belle Garde à cheval, et se mit à notre tête, entouré d’un état-major aussi brillant que nombreux. Les grenadiers nous suivaient ; la gendarmerie d’élite fermait la marche.
Pour nous rendre au palais du roi, où l’Empereur devait loger, nous suivîmes cette grande et magnifique allée des Tilleuls, la plus belle que l’on connaisse, et qui est supérieure en beauté, sinon en longueur, aux boulevards de Paris.
Je fus de garde au palais. Dans la soirée, étant en faction, dans une allée de la prairie qui se trouve en face du palais, un homme très bien mis m’offrit de la liqueur qu’il avait dans une bouteille cachée sous son habit. Je le repoussai assez rudement ; il dut penser que je ne me conduisais ainsi à son égard que parce que je craignais que la liqueur fût empoisonnée. Il me dit : « Soyez sans inquiétude, elle est salutaire. » Et, en même temps, il but un bon coup. Je le remerciai de nouveau, en lui disant en même temps de s’éloigner. Il partit, mais de mauvaise humeur, et en prononçant quelques gros jurons en allemand. Parbleu, me dis-je, voilà un Berlinois qui n’est guère de son pays ; il semblerait qu’il est bien aise qu’on ait donné une bonne raclée à son roi, à ses compatriotes, et à tout ce qui porte l’uniforme prussien.
Le 28, nous habitions dans une grande rue, la Roos-Strass, une maison belle et vaste. Il était minuit, mes cinq camarades et moi, nous dormions profondément, lorsque nous fûmes réveillés par les cris : « Au feu, au feu ! » Je me mets le premier à la fenêtre, je vois tout le dessus de notre maison en flammes. Nous commençons de tourner dans notre chambre comme des égarés, cherchant à nous habiller sans pouvoir y parvenir, nous heurtant, nous bousculant, sans trop songer à gagner la porte pour nous assurer si la fuite était possible.
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