Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
Vom Netzwerk:
annoncer l’anniversaire de la bataille d’Austerlitz, la prise de Varsovie que les Russes n’avaient pas pu défendre, et l’arrivée de la Grande Armée sur les bords de la Vistule.
    Cette belle proclamation était suivie d’un décret qui érigeait l’emplacement de la Madeleine à Paris en un temple de la gloire, sur le frontispice duquel on devait placer cette inscription en lettres d’or : L’Empereur Napoléon aux soldats de la Grande Armée. Ce décret prouvait à l’armée combien l’Empereur avait pris soin de sa gloire et l’encourageait à de nouveaux triomphes…
    Le 24 décembre, nous arrivâmes à Varsovie. Depuis le passage de la Wertha, le 29 novembre, nous étions dans la Pologne prussienne. Notre marche rapide ne nous donna pas une très bonne opinion de sa richesse. Que de pauvres et tristes villages nous rencontrâmes, que de misères nous eûmes sous les yeux, sans compter la nôtre ! Toujours dans la boue ou la neige fondue, jusqu’aux genoux, marchant toute la journée et n’ayant ni abri, ni feu. Arrivé au gîte, la nourriture répondait à tout ce que nous voyions, à tout ce qui nous entourait.
    Le 25, le passage de la Vistule à Varsovie s’opéra sur un pont de bateaux, qui avait été rétabli après la retraite des Russes. Le fleuve charriait considérablement, la gelée ayant repris depuis deux jours, avec assez d’intensité pour faire craindre pour sa sûreté. Après le pont, nous traversâmes obliquement une partie du faubourg de Prague , célèbre par son importance, mais bien plus encore par ses malheurs, la presque totalité de la population ayant été massacrée par les Russes de Souvarow, en 1794. À l’autre extrémité du faubourg sont les frontières autrichiennes, qu’on dut respecter, ce qui obligeait à se jeter à gauche pour ne pas violer la neutralité de cette puissance.
    Le passage du Bug présentait des difficultés assez grandes et des dangers assez sérieux. Le pont, rétabli à la hâte pour le passage de la partie de l’armée qui opérait sur la rive droite, fut souvent emporté par la force du courant, ou brisé par les énormes glaçons que cette grande rivière charriait. On ne passait que par petits détachements, et lorsque les officiers pontonniers jugeaient qu’on pouvait le faire en sûreté.
    Le 26, au bivouac, près d’un village appelé Loparzin, quartier général de l’Empereur.
    À la nuit close, en traversant une forêt de sapins très épaisse, je fus appelé par mon nom. C’était trois ou quatre compatriotes de Blesle, qui se trouvaient en arrière de leur corps : ce qu’on appelle des traînards ou fricoteurs. Arrêtés près d’une cantine, ils m’offrirent du pain et du petit salé, que j’acceptai avec plaisir, n’ayant rien mangé de la journée. Après être resté quelque temps avec eux, je cherchai à rejoindre ma compagnie. Mais je m’égarai, avec plusieurs de mes camarades, dans cette infernale forêt, qui semblait n’avoir pas de limites. Enfin, au jour, nous rencontrâmes un hameau, où beaucoup de militaires étaient réfugiés. J’appris avec plaisir que mon régiment n’était pas éloigné. Je m’arrêtai un instant pour me reposer, car je tombais de lassitude et de sommeil. Quand je m’aperçus que le régiment se disposait à partir, je me dirigeai dans sa direction à travers champs. La surface était gelée, mais le fond ne l’était pas, à cause du dégel qui s’était déclaré la veille, en sorte que chaque pas que je faisais, j’enfonçais dans cette terre molle à ne pouvoir plus retirer mes jambes. Mes souliers y seraient restés, si je n’avais pas pris le parti de les prendre à la main et de marcher pieds nus. Je fis ainsi plus de deux lieues sur une légère croûte de glace que je brisais à chaque pas. Je ne pus rétablir ma chaussure, à la faveur d’un repos momentané, que longtemps après que j’avais rejoint la compagnie.
    Dans la journée, les chemins, ou plutôt les endroits où nous passions, étaient devenus impraticables. Deux hommes ne pouvaient pas poser le pied à la même place sans courir le risque d’être engloutis. On marchait comme si on eût été en tirailleurs. Tout restait derrière, vainqueurs et vaincus. Les canons, les caissons, les voitures, les carrosses de l’Empereur, comme la modeste carriole de la cantinière, s’embourbaient et ne bougeaient plus. Les routes, les champs étaient couverts d’équipages, de bagages russes. Si cette

Weitere Kostenlose Bücher