Souvenir d'un officier de la grande armée
poursuite eût pu être continuée encore deux ou trois jours, l’armée ennemie abandonnait tout son matériel forcément sans pouvoir même le défendre. Mais les Français n’étaient pas plus en mesure d’attaquer. Il fallait s’arrêter sous peine de ne plus être. Aussi l’ordre fut-il donné le même jour de faire prendre des cantonnements à l’armée, et à la Garde de rentrer à Varsovie, où l’Empereur fut établir son quartier général.
31 décembre. – Mon billet de logement était pour Mgr l’évêque de Varsovie. Je me réjouis beaucoup de cet heureux hasard, qui m’envoyait chez un très grand dignitaire de l’Église, sans doute pour lui voir mettre en pratique cette charité chrétienne qui veut qu’on soulage ceux qui souffrent ; mais il n’en fut rien. Monseigneur ne daigna pas s’intéresser à nos estomacs délabrés, ni à nous faire oublier nos misères de la rive droite du Bug. Au contraire, il nous fit changer de logement, pour ne pas être obligé de nous fournir l’air que nous consommions chez lui.
Notre fortune nous envoya chez un chanoine de Monseigneur, qui parlait très bien français. Voilà tout…
Pendant notre séjour à Varsovie, le froid fut très vigoureux. En vingt-quatre heures, la Vistule fut prise et praticable partout pour les gens à pied. Cela n’empêchait pas l’Empereur de passer des revues ou de faire défiler la parade. Il se conduisait de même qu’à Berlin, avec cette différence cependant que ces travaux sur la place étaient moins longs, parce que souvent il y avait impossibilité d’y rester.
De nombreux et élégants traîneaux sillonnaient toutes les rues avec la rapidité de l’éclair. Ce genre de locomotion que je connaissais peu m’intéressait vivement.
Varsovie est une très belle ville, dans quelques unes de ses parties. Nous y restâmes jusqu’au 27 janvier 1807. Cependant, je fus peu curieux d’en visiter les monuments et curiosités ; la saison ne s’y prêtait pas. Blotti dans un coin de ma pauvre et froide chambre, où je lisais une partie de la journée, je ne sortais que lorsque le devoir et le service m’en faisaient une obligation.
Il y eut une petite promotion de vélites au grade d’officier : c’était la deuxième. Elle ne s’étendit que sur quelques protégés des généraux en crédit ou des personnages de la suite de l’Empereur.
Le 2 février 1807, après un combat, où nous étions en réserve, on nous fit bivouaquer en avant de Passenheim. J’allai, comme de coutume, chercher du bois, de la paille ou des vivres, enfin ce que je pouvais trouver. En revenant au camp, chargé de bois, je tombai dans un ravin très profond, et restai enseveli sous 10 à 12 pieds de neige. Je fus plus d’une heure sans pouvoir sortir de mon tombeau. J’y parvins enfin, mais à moitié mort de froid et de fatigue. Le temps était affreux, le froid âpre ; la neige tourbillonnait, à nous empêcher de voir à deux pas. Je passai une bien mauvaise nuit, car j’eus trop de peine à me réchauffer.
Le 3, près du village de Geltkendorf, où l’Empereur coucha, après les terribles combats de Geltkendorf et du pont de Bergfried, nous restâmes en position jusqu’à 2 heures du matin, sur 3 pieds de neige, et à la rigueur d’une bise qui coupait la respiration. Ce fut une soirée terrible.
Depuis notre entrée en Pologne, on nous avait permis de porter le chapeau, la corne en avant, et d’ajouter de chaque côté un morceau de fourrure qu’on attachait sous le menton avec des cordons, pour nous garantir le visage et surtout les oreilles du froid. L’Empereur, le prince de Neufchâtel, et la plupart des généraux avaient des bonnets en forme de casque, faits avec des fourrures de prix, desquels il pendait deux bandes, aussi en fourrure, pour être attachées sous le menton, quand le froid devenait plus piquant. Ces deux princes étaient habillés d’une polonaise en velours gris, doublée d’hermine ou de fourrure aussi riche, et chaussé de bottes fourrées avec un vêtement semblable. Ils pouvaient supporter la rigueur de la saison, mais nous, pauvres diables, avec nos vieilles capotes, ce n’était pas la même chose. À la vérité, nous étions jeunes, nous marchions tout le jour, et puis on s’y était habitué.
Le 5, c’est une journée où il n’y eut point d’affaire. Notre camp avait été établi, près d’Arensdorf, sur un étang, sans qu’on s’en doutât. Dans la nuit, notre feu de
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