Souvenir d'un officier de la grande armée
d’Altona, de Francfort, de Saint-Pétersbourg, dont je m’emparai avec joie, n’ayant pas eu l’occasion d’en lire depuis Varsovie. Ce fut une bonne fortune, car nous ne savions rien de ce qui se passait à l’armée que par les journaux de Paris.
La Garde bivouaqua autour du village. L’Empereur partit avant nous ; le bruit courait d’une suspension d’armes. Le piquet de garde ne quitta le poste que lorsque les voitures, les fourgons, les chevaux de mains et les mulets de l’Empereur et de sa suite furent prêts à partir, escortés par la gendarmerie d’élite.
TILSITT
Le 19 juin, à Tilsitt, nous fûmes logés dans le faubourg qui longe la rive gauche du Niémen, au-dessus de la ville, mais comme l’emplacement était très borné et malpropre, on préféra bivouaquer dans les jardins et les champs d’alentour. Les habitants, avant notre arrivée avaient caché dans la terre de leurs jardins leurs effets et des provisions considérables. Quand ils virent qu’on respectait les propriétés et les personnes, ils vinrent nous prier de leur permettre de faire des fouilles pour déterrer les objets cachés. On y consentit avec empressement, mais avec cette réserve que s’il y avait des comestibles, ils nous en feraient part. Il se trouva en effet, tant et tant de pièces de lard et de jambon que nos ordinaires se trouvèrent pourvus, pour quelques jours, d’une denrée bien précieuse pour donner du goût à nos maigres aliments. La viande ne manquait pas, mais le pain, où il y avait plus de paille et de son que de farine, était détestable. Il fallait avoir une faim canine pour oser le porter à la bouche.
Les Russes étaient campés sur l’autre rive du fleuve, où on les voyait et les entendait facilement, surtout quand ils se réunissaient le soir pour chanter la prière. Le beau pont en bois établi sur cette rivière était brûlé ; aucune communication n’était possible entre les deux rives, car toutes les barques et bateaux avaient été emmenés ou coulés bas : cependant, quand il fut convenu qu’une entrevue entre les deux empereurs aurait lieu sur un radeau, au milieu du fleuve, il s’en trouva pour porter les matériaux nécessaires à sa construction.
Ces préparatifs nous préoccupèrent singulièrement ; on était las de la guerre, on se voyait en quelque sorte à l’extrémité du monde civilisé, à cinq cents lieues de Paris et exténué de fatigue. C’était bien suffisant pour désirer voir sortir de ce radeau une paix prochaine et digne des grands efforts d’une armée qui avait tout fait pour vaincre les ennemis de la France.
25 juin. – J’étais sur le rivage, quand l’Empereur s’embarqua pour rejoindre l’Empereur Alexandre, et j’y restai jusqu’à son retour. Ce spectacle était si extraordinaire, si merveilleux, qu’il méritait bien tout l’intérêt qu’on lui attachait.
26 juin. – D’après les conventions arrêtées la veille sur le radeau, l’empereur Alexandre devait venir habiter Tilsitt, avec sa suite et 800 hommes de sa Garde. La ville fut déclarée neutre et partagée en partie française et en partie russe. Il nous fut défendu d’entrer, même sans armes, dans le quartier habité par l’empereur de toutes les Russies. Cependant, plus tard, il fut permis de le traverser pour nous rendre à notre faubourg qui se trouvait dans cette direction, mais en tenue de promenade.
Ce 26 juin, nous prîmes les armes à midi et fûmes nous former en bataille, dans la belle et large rue où habitait Napoléon : l’infanterie était à droite et la cavalerie à gauche. À un signal convenu, Napoléon se rendit sur le bord du Niémen pour recevoir Alexandre et le conduire à son logement. Peu de temps après, ces deux grands souverains arrivèrent, précédés et suivis d’un immense et superbe état-major, ayant échangé leurs cordons et se tenant par la main, comme de bons amis. Après avoir passé le front des troupes, les deux empereurs se placèrent au pied de l’escalier de l’Empereur Napoléon, et nous défilâmes devant eux.
Une fois le défilé terminé, nous rentrâmes dans nos bivouacs, et l’empereur Alexandre fut reconduit chez lui avec le même cérémonial.
27 juin. – Grandes manœuvres et exercices à feu de toute la garde impériale, sur les hauteurs de Tilsitt, devant Leurs Majestés Impériales. Napoléon tenait beaucoup à ce que sa Garde justifiât la haute renommée qu ‘elle s’était acquise,
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