Souvenir d'un officier de la grande armée
car, dans les feux, il passait derrière les rangs pour exciter les soldats à tirer vite, et dans les marches, pour les exciter à marcher serrés et bien alignés. De la voix, du geste, du regard, il nous pressait et nous encourageait. De son côté, l’empereur Alexandre était bien aise de voir de près ces hommes qui, soit qu’ils chargeassent sur sa cavalerie, soit qu’ils marchassent sur son infanterie, suffisaient par leur seule présence pour les arrêter ou les contenir. Il arriva un moment qu’il s’était placé devant nos feux. Napoléon fut le prendre par la main, et le retira de là, en lui disant : « Une maladresse pourrait causer un grand malheur. » Alexandre répondit : « Avec des hommes comme ceux là, il n’y a rien à craindre. »
Après le défilé, qui fut très bien exécuté, on mit à l’ordre du jour les témoignages de la satisfaction que l’empereur Alexandre avait plusieurs fois manifestée pendant les manœuvres.
28 juin. – Arrivée de S.M. le roi de Prusse. J’étais en faction en bas des escaliers de la rue, quand l’Empereur Napoléon vint le recevoir à la descente de voiture. Il lui prit la main et le fit passer devant pour monter les escaliers. Ce n’était pas la réception du 26, c’était un roi vaincu qui venait demander un morceau de sa couronne brisée.
La Garde à pied donna à dîner, dans la plaine située derrière notre faubourg, aux 800 gardes russes qui faisaient le service auprès de leur souverain. Pendant le dîner, les gardes prussiennes arrivèrent ; elles furent accueillies et traitées avec le plus vif empressement ; en général, on les préférait aux Russes, probablement parce qu’ils étaient Allemands. Il y eut beaucoup de soûleries, surtout chez les Russes, mais il n’y eut ni querelles, ni désordre. Du reste, les officiers des trois puissances étaient là, pour arrêter toute manifestation contraire à la bonne harmonie.
Pendant mon séjour à Tilsitt, je reçus une lettre du vieux général Lacoste, du Puy, pour son fils, général de division du génie, aide de camp de l’Empereur. Je fus très bien reçu, et il me promit de s’intéresser à moi.
Un soir que j’étais en faction sur les bords du Niémen, j’eus l’occasion de remarquer combien les nuits sont courtes dans le Nord, à cette époque de l’année. C’était le 23 juin. Placé en sentinelle à 11 heures du soir, il faisait encore assez clair pour lire une lettre, et quand on me releva à une heure du matin, la nuit s’était écoulée et le jour avait reparu.
Les entrevues et les événements de Tilsitt me firent connaître une infinité de grands personnages de l’Europe, que je remarquai avec plaisir et que j’étais bien aise d’observer. Peu d’occasions s’étaient présentées où l’on avait vu autant d’hommes marquants, réunis dans un si petit endroit.
3 juillet. – Les négociations pour la conclusion de la paix presque terminées, les 2 ème régiments de chaque arme de la Garde reçurent l’ordre de partir le lendemain pour Kœnigsberg et ensuite pour la France. Cette nouvelle fut accueillie avec une grande démonstration de joie. La glorieuse paix qui venait d’être signée à Tilsitt nous dédommageait bien de tous les maux que nous avions soufferts, pendant ces quatre grandes, rudes et vigoureuses campagnes, mais nous n’en étions pas moins désireux de nous reposer un peu plus longtemps, de laisser aux râteliers d’armes nos lourds fusils et sur la planche nos incommodes sacs, sauf à les reprendre l’un et l’autre, si l’indépendance de la France réclamait nos bras et notre vie. Pour le moment, nous en avions assez.
RETOUR EN FRANCE
Du 7 au 13 juillet, nous fûmes à Kœnigsberg. Durant ce temps, l’Empereur, son état-major et tout ce qui restait de la Garde arrivèrent de Tilsitt. Toutes les dispositions se faisaient pour quitter le Nord et reprendre le chemin de notre patrie, que nous appelions de tous nos vœux. Les distributions de vivre, qui avaient presque cessé depuis notre départ de Varsovie, reprirent leur régularité. Elles furent même abondantes et variées. L’ennemi, en évacuant la ville à la nouvelle de la perte de la bataille de Friedland, y avait laissé des magasins immenses, richement approvisionnés. Indépendamment des vivres ordinaires, ils contenaient de la morue, des harengs, du vin, du rhum, etc. Il y avait dans le port beaucoup de navires, chargées de denrées
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