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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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J’étais ce jour là de cuisine. Il visita la mienne comme les autres, me fit beaucoup de questions sur notre nourriture et surtout le pain de munition. Je lui dis sans balbutier, et très nettement, qu’il n’était pas bon, surtout pour la soupe. Il demanda à le goûter, je lui en présentai un. Il ôta son gant, en brisa un morceau avec ses doigts, et, après l’avoir mâché, il me le rendit en disant : « En effet, ce pain n’est pas assez bon pour ces messieurs. » Cette réponse m’atterra. Il fit ensuite d’autres questions, mais, dans la crainte que je répondisse comme je venais de le faire, le général Soulès prit la parole pour moi.
    Pendant quelques jours, dans le camp, on ne m’appelait que « le monsieur ». Quoi qu’il en soit, nous eûmes le lendemain du pain blanc pour mettre à la soupe, du riz et une ration d’eau-de-vie de grain, qu’on appelle schnaps . Le mot « messieurs » n’avait pas été dit pour se moquer de mon audacieuse réclamation.
    Le 31 mai, à Finckenstein, pour faire le service auprès de l’Empereur. Pendant les six jours que le régiment y resta, il y eut tous les jours parade et revue des troupes qui arrivaient de France. C’était long mais curieux à voir. Je fus témoin de bien des impatiences, de bien des colères, qui n’étaient pas toujours contenues, quand les manœuvres allaient mal. Plus d’un officier se retira, l’oreille basse, et d’autres avec la douleur d’être renvoyés sur les derrières. L’Empereur faisait aussi faire l’exercice à feu et à balle, par peloton, aux troupes arrivantes, dans le jardin du château, rempli de bosquets, de jets d’eau et de statues. Il leur donnait pour point de mire une belle fontaine en pierre sculptée qui se trouvait à l’extrémité et à l’opposé du palais.

HEILSBERG
     
    5 juin. – Reprise des hostilités : Au bivouac, en avant de Saafeld, petite ville de la Prusse ducale. Dans la journée, tous nos avant-postes placés sur la Passarge et l’Alle furent attaqués inopinément et avec vigueur par les Russes, et repoussés sur tous les points. Cette nouvelle arriva au quartier général impérial dans la soirée. Une heure après, l’Empereur, sa suite et toute la Garde étaient en marche pour Saafeld où nous arrivâmes dans la nuit. L’Empereur passa dans nos rangs en voiture, allant très vite ; le grand-duc de Berg avait pris la place du cocher de la calèche où se trouvait l’Empereur. La célérité de notre marche, l’activité de tous les officiers attachés au grand quartier général annonçait que cela pressait et que de grands coups se donnaient en avant de nous.
    Quand nous arrivâmes sur les hauteurs au-dessus de la plaine qui précède la ville de Heilsberg et non loin de la rive gauche de l’Alle, la bataille était vivement engagée depuis le matin. Placés en réserve, nous découvrions les deux armées engagées et les attaques incessantes des Français pour s’emparer des redoutes élevées qui, dans la plaine, couvraient le front de l’armée russe. Les troupes en lignes n’ayant pas pu s’en rendre maîtresse, l’Empereur y envoya les deux régiments de jeune garde, fusiliers, chasseurs et grenadiers, organisés depuis quelques mois et arrivés à l’armée depuis peu de jours. Les redoutes furent enlevées, après un grand sacrifice d’hommes et d’héroïques efforts. Le général de division Rousset {3} , chef d’état-major qui les commandait, eut la tête emportée, et beaucoup d’officiers et de sous-officiers de la Garde qui les avaient organisés, et dont plusieurs étaient de ma connaissance, y perdirent la vie.
    Pendant que ce beau fait d’armes s’accomplissait, trois ou quatre fusiliers de ces régiments traversèrent nos rangs en demandant où étaient leurs corps. L’Empereur qui était devant nous, suivant avec sa lorgnette les progrès de l’attaque, se retournant vivement, dit : « Ah ! ah ! des hommes qui ne sont pas à leur poste ! Général Soulès, vous leur ferez donner la savate ce soir et du gras encore ! » Une minute après, il dit : « Demandez leur pourquoi ils sont restés derrière » Ils répondirent qu’ayant bu de l’eau trop fraîche, cela leur avait coupé les jambes, etc. « Ah ! ah ! c’est différent, je leur pardonne. Faites-les rentrer dans vos rangs, il fait meilleur ici que là-bas » Par moment, quelques rares boulets envoyés de la rive droite de l’Alle venaient nous tuer des

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