Souvenir d'un officier de la grande armée
hommes et déranger l’Empereur dans ses observations. Pour détourner la direction de ces boulets, il envoya deux batteries de la Garde éteindre le feu des canons russes. Ce fut l’affaire de deux ou trois volées, et puis ce fut fini.
La journée se termina sans résultat, chacun garda ses positions et nous bivouaquâmes sur le terrain que nous occupions, au milieu des morts du combat de la matinée. Nous étions restés douze heures sous les armes, sans changer de place.
Le lendemain soir, l’ennemi évacua la ville d’Heilsberg, ses magasins et les retranchements dont la défense avait fait couler tant de sang.
FRIEDLAND
12 juin. – Nous quittâmes, à dix heures du matin, les hauteurs que nous occupions depuis l’avant-veille ; nous traversâmes le terrain sur lequel s’était donné la bataille, puis la ville d’Heilsberg et nous arrivâmes, après une longue marche de nuit, sur le champ de bataille d’Eylau, le 13, à six heures du matin, pour bivouaquer à peu près sur le même emplacement où nous avions été mitraillés quatre mois auparavant. Cette marche de nuit fut remarquable en ce que nous fûmes assaillis, lorsque nous traversions une immense forêt, par un orage si violent, si impétueux, que nous fûmes obligés de nous arrêter pour attendre qu’il fût passé, dans la crainte qu’on s’égarât. Nous arrivâmes défaits, mouillés, horriblement fatigués et hors d’état de faire le coup de feu, si cela eût été nécessaire ; mais l’ennemi était sur la rive droite de l’Alle et nous sur la rive gauche, à une assez grande distance.
13 juin. – Au bivouac sur le champ de bataille d’Eylau. Je revis avec une certaine satisfaction ce terrain si célèbre, si détrempé de sang, maintenant couvert d’une belle végétation et de monticules sous lesquels reposaient des milliers d’hommes. À la place de l’immense tapis de neige étaient des prairies, des ruisseaux, des étangs, des bouquets de bois dont le jour de la bataille on ne distinguait rien.
14 juin. – On partit de grand matin, en se dirigeant à droite, vers Friedland et les bords de l’Alle. Le canon se fit entendre de très bonne heure, et le bruit paraissait devenir plus fort, à mesure que nous avancions. L’ordre fut donné de mettre nos bonnets à poil et nos plumets ; c’était nous annoncer qu’une grande affaire allait avoir lieu.
Nos chapeaux, en général, étaient en si mauvais état, il était si incommode de porter deux coiffures et d’en avoir toujours une sur le sac, qui embarrassait plus qu’elle ne valait, que cela fit prendre la résolution à tous les chasseurs, et comme par un mouvement spontané, de jeter leurs chapeaux. Ce fut général dans les deux régiments. On eut beau le défendre et crier, l’autodafé se fit au milieu des cris de joie de toute la garde à pied.
Une fois prêts, on se remit en route ; peu de temps après, on commença à rencontrer les premiers blessés. Leur nombre devenait plus grand, d’un instant à l’autre ; ce qui nous indiquait que l’affaire était chaude et que nous approchions du lieu où l’armée était aux prises. Enfin nous sortons du bois où nous étions depuis presque notre départ, nous débouchons dans une assez grande plaine, et voyons devant nous l’armée russe en bataille, qui passait l’Alle sur plusieurs ponts, pour venir nous disputer le terrain que nous occupions, et se diriger sur Kœnigsberg pour le débloquer. Placés d’abord en bataille, à portée de canon de l’ennemi, à gauche de la route de Dom… à Friedland, nous restâmes plusieurs heures dans cette position ; mais quand une fois l’action fut bien engagée, vers 5 à 6 heures du soir, nous nous portâmes en avant pour prendre possession d’un plateau qui domine un peu la ville, et appuyer les attaques des corps d’armée qui agissaient.
À 10 heures du soir, la bataille était gagnée, les Russes enfoncés sur tous les points, jetés dans l’Alle, et toute la rive gauche déblayée de leur présence. Leur perte fut immense, en hommes et en matériel. Cette sanglante et éclatante défaite les terrassa complètement.
Le 17 et le 18, l’Empereur logea au village de Sgaisgirren, dans le château du baron. Je me trouvais de garde auprès de sa personne. Le lendemain de son départ, je visitai ses appartements ; ils ne méritaient pas cette attention, car ils étaient plus que simples, mais j’y trouvai un gros paquet de journaux de Paris,
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